L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Nos dernières frivolités
de Jean-Pierre Cescosse
Flammarion 2002 /  14 €- 91.7  ffr. / 132 pages
ISBN : 208 068145 1

Pesantes frivolités

Ecrit en 1934 - Carson McCullers avait dix-sept ans -, « Sucker » constitue un sommet insurpassable dans l'art de la nouvelle. En dix pages d’une écriture limpide, l'auteur du Coeur est un chasseur solitaire y donne à sentir toute la complexité du rapport entre un jeune garçon et son frère cadet, l’un aux portes de l’adolescence, l’autre engoncé dans sa timidité, sa solitude, l’admiration maladroite qu’il voue à son frère. Jusqu’à ce qu’une gamine vienne renverser ce rapport de force, dépouillant l’aîné de ses prérogatives factices tandis que Sucker prend, in fine, le dessus dans leur relation. Dix pages pour dire l’infime et l’universel, dix pages qui nouent la gorge par leur justesse et leur violence extrêmes. Dix pages pour lesquelles je donne sans hésiter ces « frivolités » de Jean-Pierre Cescosse, dont tout porte à craindre qu'elles ne seront pas les dernières.

Rien ne tue l’effet comme l’effet. Outre qu’ils sont un décalque les uns des autres, les quatorze textes réunis dans ce recueil tombent systématiquement à plat, à force de poses narcissiques, de trucs d’écriture, bref de tout ce qu'expérimente un jour ou l'autre un étudiant en DEUG de lettres mais qu’on s’étonne de retrouver en librairie (s’en étonne-t-on vraiment, du reste ?), alors que, par exemple, La Princesse japonaise de Béatrice Hammer (Critérion, 1995, épuisé) n'est toujours pas sorti en poche ou qu'aucun éditeur n'a encore approché Jacques Du Pasquier. Surfant sur la vague déprimiste, Cescosse met en scène des personnages désabusés dans des situations banales. Mais l'affectation et la complaisance qui suintent de chacune de ses phrases sabordent d'emblée son récit. C'est sans doute ce qui distingue les écrivains de ceux que Céline appelait les suceurs de moëlle - ce qui distingue, pour rester dans la catégorie « déprimiste », Houellebecq, Jauffret, Turgeon, Gunzig, Jeannet, de Cescosse, Ulysse, Miranda, Rey. Aux uns la chair, la fièvre, la nécessité vitale de dire, aux autres les oripeaux du style, le dandysme mal digéré, la prose pontifiante (« tout se sera éteint, pour un temps, qui ne soit pas de l'ordre du consumérisme saisonnier, frénétique et obligatoire, et nous irons, androïdes oints à l'huile écran, étendre sur les sables nos charognes à venir »).

On évitera, pour ne pas sombrer à son tour dans le déprimisme, de se demander quels livres valent les arbres qu’on abat pour eux. On préférera plutôt lire, relire, « Sucker », et « Petits malentendus sans importance » (Tabucchi), et « La Tentation de Véronique la Tranquille » (Musil), et « Les Bas-fonds du rêve » (Onetti), et « Manuscrit trouvé dans une poche » (Cortazar), et « Les Morts » (Joyce), et - mais oui - tant d'autres...

Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 04/02/2002 )
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