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Littératureet Romans & Nouvelles  

Les Enfants des héros
de Lyonel Trouillot
Actes Sud 2002 /  13.9 €- 91.05  ffr. / 136 pages
ISBN : 2-7427-3575-5

Coupable innocence

Livre où la chronologie est sans cesse subvertie à l’image du désordre d’une conscience à jamais meurtrie, Les Enfants des héros est à la fois la confession d’un crime et le récit d’une cavale. Une histoire racontée à la première personne, une ouverture in media res : "La mort de Corazón, nous sommes tombés dedans (...) La mort de Corazón allait nous commencer." Celui qui parle ainsi, dans une langue perdue quelque part entre l’enfance et l’âge adulte, c’est Colin, un gamin des bidonvilles d’Haïti qui, sans crier gare, raconte comment lui et sa sœur à peine plus âgée en sont venus à tuer leur propre père.

Ce meurtre a tôt fait d’attirer l’attention des autorités sur une zone où les nantis ne se risquent habituellement jamais à mettre les pieds. "L’Etat est loin, confie Colin avec amertume. Son existence ne nous affecte pas et lui ne se souvient de nous que lorsqu’un malheur l’y oblige." A la misère sociale est venue s’ajouter la misère morale d’une famille dominée par le père, Corazón, employé veule, minable tortionnaire domestique. A ses côtés, une mère effacée et soumise, Joséphine. "Ils n’avaient pas de passé à nous offrir", constate Colin. Il n’est en outre aucun ange-gardien à qui l’on pourrait se fier. Man Yvonne, une grand-mère paternelle qui réside en Floride, se contente, en dehors de quelques visites occasionnelles, d’observer de loin et sans compassion véritable le destin misérable de cette branche de la famille.

Aucune lumière pour Colin si ce n’est sa propre sœur, Mariéla. Mariéla qui parvient à sauvegarder sa liberté au sein de la misère, Mariéla l’obstinée tenant tête à un père qui ne l’a jamais frappée et qui la respecte, Mariéla qui, munie d’une clé (qui ne lui ouvrira cependant que les portes d’une prison), tuera ce même père en plein front, bientôt secondée par son frère qui, à ce moment crucial, décide de prendre son parti contre celui qui l’a enfanté. Le roman dure le temps d’un long monologue. Celui d’un enfant qui, par son acte, le caractère inouï d’un événement auquel il a participé malgré lui et dont il ne revient pas, simultanément s’ouvre à la vie et se l’interdit. "Mariéla, elle est née pour avoir des ailes". Née seulement... Admirable quand il s’agit d’évoquer l’amour-amitié unissant un frère et une sœur, Lyonel Trouillot nous laisse bouleversés devant les ultimes tableaux d’une enfance innocente et sacrifiée.

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 26/02/2002 )
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