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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Désir et la Mort
de Jean Bothorel
Albin Michel 2000 /  12.98 €- 85.02  ffr. / 140 pages
ISBN : 2-226-11567-6

La dernière fiancée

Désabusé par les mondanités et les compromissions en tous genres, un écrivain brillant et marginal n'attend plus rien de la vie. Atteint d'une incurable maladie, il sait qu'il ne lui reste que quelques mois de sursis. Mais il va lui être donné de vivre une grande passion, "l'amour dont nous languissons tous", absolu, sensuel, secret. Une sexualité quasi mystique dont l'auteur nous dépeint les scènes intimes, tableaux de Rubens ou de Titien traversés par un érotisme sauvage : abandon de la chair, "fièvre jubilante", spasmes que rien n'arrête.

L'angoisse de la maladie provoque en lui "un dernier sursaut puissant et cannibale". Dans cette Valse aux adieux, les amants s'explorent, se régénèrent, voyagent, se donnent, se redonnent ce plaisir qui est tout ensemble joie et oubli. Ils frayent avec une autre mort, "petite", disaient les libertins du XVIIIè siècle, et cette mort les relie aux forces créatrices et destructrices de l'univers. "Les minutes valaient un siècle. Les paroles deviennent inutiles. Un geste, un murmure suffisaient à l'harmonie". A demi-mots, ils parlent du temps qu'il leur reste ; elle, attentive à le maintenir vivant, c'est-à-dire dans le désir jamais totalement assouvi, lui, se repasse le film de sa vie : son enfance dans un temps où "la vie était plus dense, plus pesante, plus proche de la terre", la mort de son père, son engagement en 68, sa vie de militant, son emprisonnement à la Santé. Et puis, les années de journalisme, les mondanités, la montée de l'ennui, du désoeuvrement. Il traverse ces riches salons où trop d'esthétisme finit par créer une atmosphère glaciale, mortifère et où la seule présence vivante est celle de la femme aimée.

Tout le reste est folie, mensonge, mascarade. L'ancien journaliste dénonce ce cruel plaisir à promener sa caméra dans la désolation des guerres, le culte de l'émotion d'une certaine presse. Qui gagnera ? Le désir ou la mort ? Mais n'est-ce pas l'envers et l'avers d'une même question ? Dans cette course pour retenir le temps, jusqu'à l'ultime scène d'amour, jusqu'à la dernière jouissance, aussi mystérieuse, "aussi inexprimable que Dieu ou la mort", l'homme prépare son irrémédiable abandon, dans la solitude. Les seules noces qu'il pourra accomplir seront celles de sa vie intérieure avec la dernière des espérances, la seule sans doute, la femme.

Il se donnera à la mort comme il s'est offert à l'autre, entièrement, vidé du superficiel, de l'inutile, dans cet immense glacier dont on ne réchappe pas et dont on ne sait rien.

Emmanuelle de Boysson
( Mis en ligne le 20/06/2000 )
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