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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Musicos
de Hervé Mestron
Flammarion 2000 /  13.59 €- 89.01  ffr. / 134 pages
ISBN : 2-08-067838-8

Les galères d'un contrebassiste

Un musicien prend l'avion pour Montréal, mais la tournée en perspective s'annonce mal : sa contrebasse est détournée vers Toronto. De bars en boîtes "hot", entre ses potes, Robinet, Bunny ou le producteur Claude Lafortune, doublure de Frank Sinatra, un joint et la gueule de bois, le musicos erre jusqu'aux petits matins glauques, sa contrebasse sous le bras pour tromper sa peur et sa solitude. Nous le suivons dans ses virées nocturnes, en demi-teintes, à travers sa série de poisses, dans un récit plein d'humour et de piquant, au style direct, parsemé d'images insolites.

Exemples :
"Bunny ressemble à une girafe triste", "je préfère baiser un camembert"... On ne s'ennuie pas une seconde et on se demande où atterrira ce veinard. Je vous le donne en mille ! Dans une soirée pour l'élite de la ville, payé au cachet et obligé d'improviser sur un air patriotique aux relents fascistes ! On ne pouvait pas chuter plus bas !

Enfant, une contrebasse lui est tombée dans les mains. C'est elle le second personnage de ce petit roman, elle qui vit et souffre avec lui, qui lui donne ses seules joies. Perdue, fendue, cassée, elle l'accompagne partout, l'apaise et finalement le rend heureux. Il n'a qu'elle, n'existe que par elle. Elle est le lien, l'héritage légué par son père mort dans l'explosion d'un cabaret tzigane, un père musicien qu'il recherche à travers les visages de monsieur Paul, Sergio ou Léon...

Quand il attaque une suite de Bach, prévue pour violoncelle, son comparse Bunny applaudit, la musique le remet sur pied. Elle le sort du spleen. La musique aide à vivre. Elle transcende l'univers underground des noctambules. Dans un boui-boui éclairé aux néons, parmi les épaves, les clodos, le serveur aux yeux ternes, devant ses bouteilles de ketchup, les filles qui tapent des cigarettes aux passants, le saltimbanque se sent bien... Dans une boite de strip où les prostituées miment l'amour et les cow-boys deviennent fous, "la contrebasse se transforme en un incroyable bouclier, elle prend tout, le bois finit par éclater... Il semble ne rester qu'elle. Elle et moi sur cette terre d'Amérique. Je dois l'affronter pour avancer". La contrebasse comme raison de vivre, permet de surmonter tous les déboires de cet artiste errant. L'auteur, Hervé Mestron, ancien altiste, a déjà publié plusieurs romans entre musique et coups de blues, vie en noir et note bleue : La Sonate dans le caniveau, Le cadavre et la contrebasse.

La présence de la contrebasse donne à ce texte hyper réaliste sa touche de tendresse et de poésie mais on se lasse de tout savoir sur ce périple canadien et rien ne nous est épargné. Quand le musicos a "tiré son joint", est passé aux "pissotières" et s'est tapé un steak tartare, frites et salade verte, saumon, fromage, profiteroles et glace au même repas, on se sent un peu écoeuré... Surtout qu'il en roule un autre quelques pages suivantes. Ouf ! on finit par avoir envie d'un peu d'air, de sortir de l'atmosphère surchauffée des studios et de l'hôpital pour implants sur calvitie. Retour en France : Aïe, aïe, aïe ! le narrateur nous sert même son casse-croûte à l'aéroport : "j'ai fait les cent pas pour digérer les cinq sandwiches que je venais de m'enfiler" ! Epuisé par le décalage horaire, il vit une dernière déconvenue. Quand il veut se mettre au lit, impossible, une fille est couchée dedans, reste le canapé du salon où il finit par s'endormir, le bras posé sur le manche de sa contrebasse. La vie d'artiste, ce n'est pas tous les jours dimanche !

Emmanuelle de Boysson
( Mis en ligne le 14/05/2000 )
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