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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Jeune fille à la perle
de Tracy Chevalier
La Table Ronde 2004 /  16.80 €- 110.04  ffr. / 271 pages
ISBN : 2-7103-2676-0
FORMAT : 12x19 cm

traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek

L'Oeil de Vermeer

Nous sommes à Delft, au XVIIe siècle. Fille d'un faïencier ruiné, Griet, âgée de seize ans, est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Ému, le maître l'introduit peu à peu dans son univers. La Jeune Fille à la perle, deuxième roman de Tracy Chevalier, est un texte sur l'ambiguïté, celle d'une adolescente tout à la fois modeste employée, dévolue aux plus basses tâches ménagères, et cependant seule à être admise dans cet espace sacré qu'est l'atelier du peintre : créature distinguée par le maître et, par-là même, victime de la jalousie de son entourage féminin (épouse, belle-mère, intendante).

Tracy Chevalier reconstitue une vie imaginaire en partant du tableau qui donne son titre au roman (une jeune fille au turban bleu et jaune, la bouche légèrement entrouverte, comme surprise, tournant les yeux vers nous). Nulle reconstitution historique ici. Pourtant, par son sens discret du pittoresque et son pouvoir de suggestion, ce roman accomplit une véritable résurrection : celle d'une civilisation, d'un "vivre" qui n'est plus le nôtre. Les pages où nous suivons la jeune Griet dans les ruelles de Delft, la description de ses allées et venues dans la demeure de Vermeer ont une qualité visuelle toute picturale, voire cinématographique.

Banale histoire d'amour ancillaire ? Bien plutôt, récit d'une passion tacite, fable sur le regard et la fascination, la lente et insidieuse corruption de l'innocence. Une histoire qui tient en peu de mots, mais cette ténuité, cette discrétion, loin d'être la marque d'une inconsistance, traduisent au contraire l'intensité et le poids d'un monde intérieur fait de rêves, d'inquiétude, de non-dits, de passions tues. Ce dont parle Tracy Chevalier, c'est une relation au temps qui s'est perdue : l'ampleur de ce silence que regrette tant George Steiner en évoquant le célèbre Philosophe occupé de sa lecture de Chardin.

Il serait vain de parler de moments plus réussis que d'autres, à propos d'un texte qui fait preuve d'une telle cohérence et d'une telle patience. On retiendra cependant ces scènes de pose multipliées où Griet, sous le regard absorbé du maître, les yeux tournés vers la fenêtre ouverte, s'abîme dans la vue de Delft. Il semble alors que l'on ait quelque idée du "grand art", de ce subtil rapport de dévotion des artistes à leur travail au XVIIe siècle.

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 10/03/2004 )
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