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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Mépris
de Alberto Moravia
Flammarion 2002 /  15 €- 98.25  ffr. / 260 pages
ISBN : 208068440X

Traduit de l’italien par Claude Poncet.

Autopsie d’un malentendu

Emilia et Riccardo ont tout pour s’aimer, mais tout ça ne leur suffit pas… Le Mépris est un très beau livre d’amour, mais d’un amour contrarié, déchu et tyrannique. Le roman européen ne connaît pas les histoires simples : un homme et une femme qui s’aiment et qui vivent heureux, par exemple. Alors, comme tous les grands romans d’amour, Le Mépris est le simple récit d’un amour malheureux. Ecrit à la première personne, d’un «je» à la fois introspectif et rétrospectif, Le Mépris est le très virtuose récit de la dégradation de l’amour. Moravia signe ici un chef-d’oeuvre poético-réaliste empruntant la sobriété d’Héloïse et Abélard, la puissance d’invention de Belle du Seigneur et la virtuosité psychologique de La Jalousie.

Lui est critique de cinéma sans fortune. Elle est sa femme, douce et attentive. Le tiers-terme est Battista, producteur qui finance les films du premier, lequel le soupçonne d’être l’amant de sa femme. Et Riccardo prévient : «Bref, nous ne nous jugions pas : nous nous aimions. L’objet de ce récit est de raconter comment, alors que je continuais à l’aimer et à ne pas la juger, Emilia au contraire découvrit ou crut découvrir certains de mes défauts, me jugea et, en conséquence, cessa de m’aimer.» Dès lors, il n’y a, pour le couple, plus d’échappatoire. Emilia et Riccardo sont condamnés à leurs solitudes respectives. Le Mépris est la lente et patiente autopsie d’un malentendu. Aux enthousiasmes des premiers instants succède la première nuit de solitude : «Je pense qu’il vaut mieux dormir chacun de notre côté» hasarde Emilia, puis les crises répétées de jalousie, les délires hallucinés de Riccardo, les déclarations coupables, les plaintes d’amour… Le couple s’exile finalement à Capri pour s’y détruire plus encore.

Sur toile de fond mythique, cette nouvelle Odyssée est un aller sans retour. Efficace, inspiré, juste et grave, Moravia peint un amour impossible, tragique jusque dans son étincelle d’irréalité, halluciné et anxiogène, et finalement peut-être autant poétique qu’abject. Toute la vie se mesure et se concentre dans cette plainte d’amour. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que d’offrir à la fois de grands moments de poésie et de réalisme.

Olivier Sécardin
( Mis en ligne le 02/02/2003 )
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