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Littératureet Romans & Nouvelles  

Sans merci
de Renate Dorrestein
Belfond 2003 /  18.50 €- 121.18  ffr. / 280 pages
ISBN : 2-7144-3933-0

La part d'ombre

En 2001, le cinéaste Nanni Moretti réalisait un film bouleversant, La Chambre du fils, dans lequel une famille heureuse et unie se heurtait à l’impensable : le deuil d’un enfant. Le père, un psychanalyste, devait puiser au plus profond de lui-même pour trouver la force de continuer à recevoir la souffrance – parfois irritante – de ses patients, alors qu’il était lui-même en plein processus de deuil.

L’ouvrage de Renate Dorrestein – son troisième traduit en français, après Vices cachés (Belfond) et Un coeur de pierre (Belfond) – part d’une trame similaire : un couple aisé, la quarantaine «bobo» (lui «testeur» dans une grande fabrique de jouets, elle assistante sociale), gentiment libéral, voit soudain son équilibre basculer lorsque le fils unique, Jems, est abattu dans une discothèque. Brisé, le coeur en miettes, le couple «parfait» entame alors un long travail de reconstruction.

Contrairement au film limpide et profondément positif de Moretti, Renate Dorrestein fait emprunter à ses deux personnages principaux des sentiers psychologiques beaucoup plus tortueux et complexes pour intégrer la perte de leur enfant. La reconstruction fait peu à peu place à la destruction, et lentement, le lecteur s’enfonce dans un magma de brutalité et de violence intérieures. Le père, Phinus, n’est pas le géniteur naturel de Jems, et tout dans cette mort le ramène à des questionnements sur ses choix passés et sa propre origine. La mère, Franka, tente vainement de concilier ses idéaux permissifs et tolérants avec l’inacceptable mort de son fils. Le couple, si dynamique aux yeux des autres, recèle en fait de failles et de crevasses, que la mort de Jems ne fait qu’aggraver : agacement quotidien, routine, incompréhension mutuelle, non-dits, culpabilité, reproches larvés. Tout à son désir de sauver les meubles, Phinus emmène Franka en week-end «amoureux», balade qui s’achèvera en cauchemar.

La critique, très élogieuse, qualifie Dorrestein de nouveau maître du «thriller psychologique». On pourrait rajouter le terme «poisseux», tant cet ouvrage brillant décortique le pourrissement sous toutes ces formes : violence fondamentale de l’individu, équilibre précaire des relations aux autres, lente dégradation de la bienveillance amoureuse…

Le talent de Dorrestein est d’avoir su mêler un suspense haletant à une étude implacable, tellement fine qu’elle en devient vertigineuse, autour de l’ambivalence de l’âme. La perte des repères moraux et la valse des questionnements – qu’est-ce qu’un couple ? Que recouvre exactement la notion de filiation ? – sont ici accentuées par une construction romanesque audacieuse : déstructuration chronologique et alternance des points de vue. Ni bons, ni mauvais, parfois franchement antipathiques, les personnages de Sans merci ne rassurent pas vraiment : Dorrestein ne fait que révéler, puissamment, la part d’ombre qui sommeille en chacun…

Caroline Bee
( Mis en ligne le 24/04/2003 )
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