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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Chant des plaines
de Kent Haruf
10/18 - Domaine étranger 2003 /  7.80 €- 51.09  ffr. / 318 pages
ISBN : 2-264-03435-1
FORMAT : 10 x 18 cm

Titre original : Plainsong. Traduit de l'américain par Benjamin Legrand.

Mornes plaines...

On a tous en tête ces images du grand Ouest américain, ces plaines à perte de vue, saupoudrées de fermettes où pointe une éolienne, les enclos où s'ennuient les bovins et les corrals exhalant l'odeur chaude des pur-sangs. Les pick-up sillonnent d'interminables routes rectilignes coupant l'horizon en angle droit. Sur leurs tracés, des villes en damier dressent leurs échoppes : le cinéma, l'épicier, le salon de coiffure... Tel est le cadre éculé du dernier roman de Kent Haruf. Eculé mais mis au goût du jour car, à ce décor cinématographique, digne d'une toile de Hopper ou de Norman Rockwell, s'ajoutent les fléaux du temps.

Le Chant des plaines est la peinture douce amère d'une société qui va mal. Anomique diraient les sociologues, elle est ce Léviathan malade où s'évanouissent les modèles, des cadres sociaux dont on oublie l'importance : la famille, l'école... Dans la petite ville de Holt, non loin de Denver, les personnages que l'auteur fait vivre cherchent ce lien social indispensable. Tom et ses deux fils, Ike et Bobby, souffrent du départ d'une mère dépressive et éteinte. Victoria, jeune adolescente mise enceinte par l'un des baroudeurs du bahut, subit l'opprobre de sa mère et doit affronter sa grossesse tant bien que mal. Le roman s'étend d'ailleurs sur ces neuf mois particuliers. Tom, encore, professeur au collège du coin, se heurte à la bêtise d'une famille de notables dont le fils plus qu'insolent ne reconnaît aucune autorité à l'institution. Enfin, une vieille dame sans enfant, abandonnée, attend la mort, seule dans un appartement insalubre...

Et pourtant, à ces portraits pas folichons, limite déprimants, l'auteur donne une patine attachante, une douceur enveloppante au fil de la lecture. Car la société à beau se porter mal - s'est-elle jamais portée à la perfection ?... - les individus sont là, des personnalités hautes en couleurs avec des coeurs gigantesques. Tels sont les frères McPheron, dont la ferme est comme le point d'équilibre de ces vies bringuebalées. Ces deux vieux garçons, bourrus et autarciques, sont deux coeurs débordants qui aideront cette pléiade tristounette avec toute leur énergie.

Alors, la lecture du roman de Kent Haruf devient un plaisir, car à la dureté de ces existences, à «l'ère la plus cinglée de toutes», se mêle la beauté poignante de caractères sur lesquels peu de choses ont de prise, heureusement. L'écriture, simple, porte la lecture avec, si nécessaire, un souci du détail qui importe : la peinture d'un paysage agraire hivernal, l'évocation des damiers verts des nappes dans ces cantines typiquement américaines... De quoi donner l'envie de se plonger dans les deux autres romans de l'auteur, The tie that blinds et Colorado blues et d'attendre impatiemment l’adaptation cinématographique de ce petit chef-d'oeuvre tout simple. Les frères Coen lui siéraient bien !

Au total, cette peinture sociale, comme la littérature américaine en connaît tant, est un exemple du genre. Le Chant des plaines est une belle complainte, presque élégiaque, de cette mélancolie dont Hugo disait qu'elle est comme du bonheur dans la tristesse.

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 27/08/2003 )
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