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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Malédiction Henderson
de David Adams Richards
Serpent à plumes 2003 /  23 €- 150.65  ffr. / 420 pages
ISBN : 2842614089
FORMAT : 13 x 20 cm

Traduit par Ivan Steenhout.

Confession d’un enfant sans (?) cœur

Certes David Adams Richards n’a pas la renommée de Carol Shields, Margaret Atwood ou Michael Ondaatje. Il est pourtant régulièrement encensé par la critique canadienne et collectionne les nominations et prix littéraires divers, obtenant en 2000 pour La Malédiction Henderson le prix Giller (qui couronne l’auteur du meilleur roman ou recueil de nouvelles canadiens de langue anglaise, récompense partagée avec M. Ondaatje pour Anil’s Ghost).

Si l’œuvre de Richards a pour décor la province du Nouveau-Brunswick, plus précisément la vallée où coule le fleuve Miramichi, l'auteur n’est cependant pas un écrivain régional, qualificatif qu’on lui a souvent attribué au début de sa carrière et qu’il estime faux. À l’instar de William Faulkner, qui dépeint à l’aide de son Yoknapatawpha County le Sud profond des États-Unis, David Adams Richards prend ancrage dans une réalité géographique qu’il connaît bien (ayant longtemps vécu dans la région) mais qu’il recrée. Les Stumps, «une bande de terre dans la partie nord-est du Nouveau-Brunswick, le long du grand fleuve Miramichi», où se situe l’action du roman, n’existent pas.

De même, si Richards s’inspire de personnes qu’il a pu rencontrer pour décrire de façon réaliste et respectueuse la ruralité, il ne s’agit pas pour lui de dénoncer les conditions de vie difficiles et les drames sociaux qui en découlent. Le sujet est tout autre. Lorsque Lyle Henderson vient se confier à Terrieux, un ancien policier, il lui avoue : «Tout mon récit est vrai. Il m’a fallu presque sept ans pour reconstituer le tout et je veux maintenant vous raconter l’histoire.» Une histoire dans laquelle Terrieux joue un rôle déterminant. «(…) s’il est vrai que l’homme doit quelque part rendre compte de chacun de ses instants et de chacun de ses actes, on ignore ce que s’abstenir de tuer a comme conséquence.», lui dit Lyle. Terrieux a en effet, quelques années auparavant, sauvé la vie de Mathew Pit, l’ennemi intime de la famille Henderson, celui qui va salir la réputation de Sydney, le père de Lyle, et le faire accuser des pires turpitudes.

Face à l’injustice des hommes, Sydney reste muet et s’absorbe dans les livres. La raison en est ancienne. À l’âge de douze ans, pensant à tort avoir provoqué la mort d’un camarade, il conclut un pacte avec Dieu : «Il jura tout bas… si le garçon survivait , de ne plus jamais lever la main contre personne, de ne plus jamais élever la voix devant un autre être humain et d’assister à la messe tous les jours.» Décision individuelle qui entraîne sa famille dans le malheur et la pauvreté. Figure christique, Sydney ne cesse de tendre l’autre joue, déclenchant l’incompréhension, la colère puis la haine de Lyle qui préfère la loi du talion. Et s’enivre du pouvoir que donne la force physique.

Face à la volonté de puissance et de pouvoir (sous toutes ses formes, économique, intellectuel, sensuel ou physique), la quête spirituelle semble bien fragile. Pourtant, en fin de compte, qui est réellement maître de son destin ? Leo McVicer, le tout-puissant patron local, ou Sydney, qui vit en accord avec sa pensée ? Si les choses paraissent simples, David Adams Richards ne cède jamais au manichéisme, et dépeint avec justesse des personnages complexes et des relations qui le sont tout autant. Un très beau roman, dont émane «une tristesse née de la connaissance et de la sagesse.»

Florence Cottin
( Mis en ligne le 29/08/2003 )
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