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Littératureet Romans & Nouvelles  

Je gagne toujours à la fin
de Tristan-Edern Vaquette
Au Diable Vauvert 2003 /  20.00 €- 131  ffr. / 356 pages
ISBN : 2-84626-060-5
FORMAT : 13 x 20 cm

Artificiel et prétentieux

On peut être un artiste « underground » parce que son propos est trop novateur, trop dérangeant pour être reçu par des mass-médias rompus au consensus mou. Mais on peut l’être également parce que, bien que son propos ne soit en rien transcendant, il se trouvera toujours un public de branchouillards pour le cautionner, non pour sa qualité, mais simplement parce qu’il est étiqueté underground, donc « super in », donc non connu de la «masse». On «classera» hélas Tristan-Edern Vaquette dans la seconde catégorie.

Déjà est-on dubitatif lorsqu’on découvre la quatrième de couverture : «Ami-camarade lecteur, réjouis-toi, car tu vas dévorer un roman bientôt culte, assurément inclassable, quelque part entre Desproges et Guy Debord, Vuillemin et la littérature, un roman d’action philosophique, d’aventures hystérico-historiques, audacieux et formel, drôle aussi, un roman qui balance, résolument moderne, trash-intello pour ceux qui veulent vraiment une étiquette !». Au secours, n’en jetez plus !

On reste également mitigé à la lecture de la notice biographique de «l’auteur», merveilleusement sibylline à force de ne rien vouloir faire comme tout le monde : «musicien, auteur, performer, docteur es-sciences, vicomte de Gribeauval, Prince du Bon Goût, dit encore Mister Trash, le Punk rouge ou Monsieur Hard-Core». N’oublions pas le communiqué de presse, qui veut à tout prix nous faire comprendre que, bien que punk libertaire condamné au ghetto le plus crasse, Tristan-Edern Vaquette est un être cultivé et exceptionnel : «Il est sorti avec mention classé parmi les dix premiers du DEA de physique théorique à Normale Sup, il est champion master de Seine-Saint-Denis, créateur du festival underground Un printemps bizarre». Rendez-vous compte !

Méfiance : quand on vous balance du culte à toutes les sauces, du «tendance» à la louche, du 36e degré partout, de l’exceptionnel à pleine figure, du «trash intello qui balance», et bien ça a intérêt à balancer, sinon gare au ridicule. Alors, parlons un peu du contenu. Je gagne toujours à la fin raconte les aventures rocambolesques, pendant la Seconde Guerre mondiale, de trois résistants hauts en couleurs, héroïques et intraitables, Tristan – le narrateur –, Artémise et Bixente. L’originalité supposée de la narration est d’être absolument moderne, de se jouer d’anachronismes, de donner à cette époque, lourdement entachée par sa « lourdeur » historique, un petit côté rock’n’roll et décapant. Le résultat est complètement raté, le propos, une fois le travestissement stylistique effectué, ne prenant aucune dimension particulière, qu’elle soit comique, tragique, intellectuelle, etc. Les pérégrinations des trois compères sont d’un inintérêt absolu, et qui plus est, cette quête interminable est alourdie par des digressions égocentriques et tout aussi inintéressantes de l’auteur – où l’on reparle de son passé d’étudiant brillant, où l’on brasse quelques références underground, libertaires, anti-commerciales, et où l’on marmonne une réflexion situationniste gentillette (on relira plutôt Raoul Vaneigem).

Tristan-Edern Vaquette, malgré tous ses efforts pour se démarquer, incarne parfaitement les dérives de la société du spectacle : je veux être reconnu mais tout de suite, je veux écrire un livre mais je m’en fiche s’il est illisible, je veux être culte, alors j’utilise les artifices à la mode, je veux être un artiste, mais je n’ai rien à dire, surtout, je n’ai rien à partager.

Caroline Bee
( Mis en ligne le 19/10/2003 )
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