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Littératureet Romans & Nouvelles  

L'Enchantée
de Pierre Drachline
Le Cherche Midi 2003 /  14 €- 91.7  ffr. / 164 pages
ISBN : 2-74910-130-1
FORMAT : 14 x 21 cm

Dérives amoureuses

Extrême-gauchiste ou anar, peu importe : Pierre Drachline, c'est clair, n'aime ni les bourgeois, ni l'Europe, ni le capitalisme. Ses trois personnages de L'Enchantée – l'enchantée elle-même et les deux hommes de sa vie, le mortimiste et le vieux roublard – sont les incarnations de cette haine du bourgeois. L'un assiste aux enterrements d'inconnus, au hasard des chroniques mortuaires lues dans les journaux et se repaît du spectacle des familles en deuil ; l'autre vole les riches au jeu. Au milieu, il y a l'enchantée, vendeuse de moules frites, sans attache, un brin rebelle, qui rencontre le premier dans un cimetière, poussée par une même attirance, à peine morbide, pour les mises en terre. Ce sont, au sens propre, trois marginaux, que Pierre Drachline charge de toute son affection, et auxquels il fait, par transfert, porter toute son aversion pour la société bourgeoise contemporaine.

Etres en marge donc. Etres vains au fond, aussi vains que ceux qu'ils moquent ou abhorrent, les trois forment un cercle pathétique : ils n'ont pas d'avenir, pas de projet, pas particulièrement d'espoir. Rien qu'une liberté d'action aux limites évidentes. Le rattrapage aux branches pour mode de vie. Le récit de leurs amours peut faire sourire, provoquer un début d'émotion parfois. Mais sans jamais toucher au cœur. Question de distance peut-être. Réticence inconsciente du lecteur bourgeois ?

Pourtant, malgré son « radicalisme », Pierre Drachline n'oublie pas d'écrire. De jolies formules, la précision et la simplicité des termes choisis, le sens des images, donnent au récit sa consistance et rappellent son vrai sens : c'est d'art qu'il s'agit d'abord, de poésie et non de politique. Son style très particulier peut irriter aussi : les phrases courtes sans verbe, qui sont autant de formules imagées, se multiplient et se répondent, par petites touches. L'écriture a quelque chose d'impressionniste. Cette façon de faire, de rythmer le récit par saccades brèves, en omettant la bonne vieille règle scolaire du « sujet - verbe - complément », est peut-être un choix de combat, une opposition littéraire de classe à un style supposé bourgeois. Elle est surtout en phase avec le thème du livre, portrait de dérives amoureuses annoncées. De vies à bout de souffle, sous l'air apparent de la liberté.

Au final, il reste un triple portrait sinon totalement attachant, du moins plaisant par son style. Un exercice littéraire pas ennuyeux mais qui laisse songeur, voire sceptique, une fois le livre refermé. Un court roman à lire si on vous l'offre, mais que l'on n'irait pas jusqu'à conseiller de se procurer à tout prix.

François Gandon
( Mis en ligne le 02/01/2004 )
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