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Littératureet Romans & Nouvelles  

Un dimanche à la piscine à Kigali
de Gil Courtemanche
Gallimard - Folio 2006 /  6.40 €- 41.92  ffr. / 325 pages
ISBN : 2-07-032951-8
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en août 2003 (Denoël).

Vivre ensemble

Le jeudi 6 avril 1994, l'avion du président du Rwanda, Habyarimana, explose dans le ciel de la capitale Kigali. Il est 20 heures. Le lendemain matin, en «représailles», est déclenchée officiellement l'élimination méthodique, à la machette, des «cancrelats» et des «cafards» tutsis… On a parlé d'un million de victimes, de cent jours d'horreurs, de viols, de mutilations, sans vraiment mettre un visage sur ce drame qui nous a paru si lointain et si incompréhensible, dans sa barbarie d’un autre temps. Si on a lu, vu et entendu cette horreur à travers le prisme médiatique, on ne l'avait jamais vraiment vécue. Grâce à Un Dimanche à la piscine de Kigali, ce «manque» est comblé.

Gil Courtemanche, essayiste et journaliste, a longtemps été correspondant en Afrique pour Radio Canada. Il a notamment séjourné au Rwanda pour y tourner un documentaire sur le sida. C'est d'ailleurs ce que fait Valcourt, son héros. En se risquant à écrire un roman sur ce qui fut un événement dramatique et bien réel, l’auteur démonte un à un les mécanismes génocidaires, donne une identité, une chair et un cœur aux bourreaux comme aux victimes. Le Canadien met de côté non seulement l’objectivité du reporter, mais aussi toute retenue convenue. En alliant art du roman et charge enragée contre les diplomates et les onusiens qui ont volontairement fermé les yeux sur ce déferlement d’horreur, il fait de Gentille, la bien-aimée violée au tesson de bouteille, ou d’Emerita, la «taxiwoman» pulvérisée à la grenade, des proches aux visages humains pour qui le lecteur tremble à chaque page. Leur mort en devient immédiatement tangible, immédiatement insupportable. En 300 pages, l'intrigue cristallise toutes les données du massacre dans le corps de personnages attachants, peints avec brio, et que le lecteur apprend à aimer comme des frères et des sœurs menacés par une haine indéracinable.

Car Gil Courtemanche parvient à expliquer comment ce génocide fut possible, comment ce massacre qui éclata sur nos écrans de télévision, incompréhensible à nos yeux, a mûri dans un climat de rancœurs, dans ce fossé absurde qui s’est creusé entre les Hutus et les Tutsis devant les yeux délibérément aveugles de ces Blancs qui se pavanent autour de la piscine de l’hôtel comme au Club Med : «Spectateur intéressé mais distant. C’est ainsi que les Blancs de l’hôtel, petits dieux instantanés, entendent et devinent l’Afrique. D’assez près pour en parler et même écrire à son sujet. Mais en même temps si isolés dans leurs ordinateurs portatifs, leurs Toyota climatisées et leurs chambres aseptisées.» Valcourt, lui, personnage largement inspiré par la vie de Courtemanche, nous emmène au contraire au cœur de ce tourbillon, à l’intérieur d’un Rwanda rongé par la haine, par le sida, qui lui aussi sévit comme les machettes, se répandant à la vitesse de la peste dans l’ignorance la plus totale – parfois volontaire.

Ainsi, à l'heure où l'on se demande si le réel, à travers les reportages télévisés, touche encore les masses, la fiction peut sûrement jouer le rôle d'antidote à l'indifférence générale. Les gens croient encore aux histoires et cette histoire-là bouleverse notre petit confort, «notre tristesse de vivre, cette maladie dont souffrent seulement ceux qui ont le luxe d’avoir le temps de se pencher sur eux-mêmes.»

Fabienne Broucaret
( Mis en ligne le 22/02/2006 )
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