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Littératureet Romans & Nouvelles  

L'Hôte du pape
de Vladimir Volkoff
Le Rocher 2004 /  20 €- 131  ffr. / 334 pages
ISBN : 2-268-04932-9
FORMAT : 16x24 cm

Tous les chemins mènent à ... la troisième Rome. Les imaginations théologiques de Vladimir Volkoff

Ecrivain français d’origine russe, orthodoxe, homme de droite déclaré, Vladimir Volkoff a derrière lui une œuvre abondante et variée, qui s’inscrit de toute évidence plus dans la tradition romanesque russe par sa forme et son contenu que dans la tradition littéraire française. Son roman L’Hôte du pape , sorte de policier métaphysique orthodoxe, rappelle au lecteur cultivé l’inspiration dostoevskienne de Crime et châtiment et surtout des Frères Karamazov par son mélange de réflexion religieuse (dialoguée ou monologuée) et d’action dramatique relevant du fait divers, de la banalité quotidienne, de la vie intime ou de la transgression criminelle.

Par son ironie, le roman rappelle plutôt les farces métaphysiques de Boulgakov, avant tout Le Maître et Marguerite, qui faisait de Satan un acteur vivant des nouvelles aventures de Faust dans le Moscou du vingtième siècle. L’idée commune à cette double référence est de faire de l’expérience humaine terrestre un objet d’interprétation morale et spirituelle : cette idée n’est pas propre à la tradition russe ni au roman orthodoxe mais le rôle y est donné à l’histoire de la Russie et la valeur accordée à l’orthodoxie.

L’hôte du pape se présente d’abord comme un roman d’espionnage et de guerre froide : avec l’humour des auteurs qui revendiquent la liberté de l’imagination dans le roman historique, Volkoff mêle événements et personnages réels à ses créations et imagine les origines de la mort mystérieuse, coup sur coup, d’un métropolite de Léningrad (!) et du pape Jean-Paul Ier, qui lui avait accordé peu auparavant audience. Le héros du livre, le métropolite Ilya est un étrange produit de la collusion ambiguë de l’Etat soviétique et de l’Eglise russe. Officier de l’armée soviétique de Staline, il prend conscience après un meurtre «juste» mais bouleversant (celui d’un commissaire politique sanguinaire et stupide) que sa quête de justice, manifestée comme un instinct de l’âme dans l’horreur du crime, le mène à Dieu. On pense bien sûr à ce meurtre de l’usurière avide par Raskolnikof (en russe : le séparé schismatique) qui ouvre, avec la culpabilité et l’épreuve du bagne, la voie du Ciel et de la rédemption. La clôture que choisit Traktor Galkine (prénom typique de l’ère révolutionnaire et de son apostasie naïvement techniciste) est le monastère, où il retrouve par le baptême le nom choisi par les femmes de sa famille (autre thème cher à l’orthodoxie) : Clément, nom prédestiné à double titre. Galkine est en effet habité de la charité malgré son éducation matérialiste et va œuvrer pour l’Eglise primitive unie, dont Clément fut le quatrième pape. Mais Galkine ne le sait pas, sa vie est dirigée par la Providence.

Volkoff semble hésiter entre Dostoievsky l’anti-catholique et Soloviev le philo-catholique russe. Car Galkine, rattrapé par les ruses de Dieu ou du diable, se retrouve obligé de reprendre du service, cette fois au KGB. Volkoff prêche dans son cas comme dans celui peut-être de l’Eglise russe, obligée de collaborer, pour un jeu serré mais habile de l’institution ecclésiale russe, si souvent accusée de trahison dans l’émigration. A plusieurs reprises Volkoff laisse penser que le martyr de l’Eglise et du christianisme russes valent bien la compréhension et une certaine admiration du monde (thème russe classique : malgré l’occupation des hordes tatares, la soumission russe bénie par l’Eglise, a sauvé l’essentiel et … la liberté de l’Occident). Galkine va donc trouver un prétexte de service pour convaincre sa hiérarchie religieuse comme Andropov, patron du KGB, d’enquêter sur le sens des révélations de la Vierge de Fatima et entrer en relation avec Rome ! Mettant dans son jeu un jeune comparse, à la vie étrangement analogue à la sienne, Youri.

Le métropolite du KGB, soupçonné par tous et spirituellement justifié de jouer de toutes les ambiguïtés et opportunités d’un monde absurde, va tracer la voie d’une réconciliation difficile entre services secrets légaux et sociétés criminelles pour témoigner jusqu’à un entretien mystérieux dont Volkoff nous donne l’exclusive de la voie d’une reconnaissance des Eglises (les seules dignes de l’œcuménisme d’un orthodoxe : les seules «catholiques»). Si Volkoff égratigne plus souvent Rome que les compromissions de son Eglise (lire pp.200-230), on sent les ménagements de l'aile la plus ouverte de l’orthodoxie, à laquelle il se réfère clairement en notes pour le lecteur averti. Voie envisagée aussi à Rome d’une reconnaissance par l’orthodoxie de la primauté d’honneur du pape (fidèle à la position byzantine) et d’un renoncement par Rome à imposer sa discipline hors de sa sphère actuelle, et en dogmatique sur les sujets en débat ses spécificités, qui seraient considérés comme des vérités admises par la tradition latine occidentale. Sur les vérités nécessaires, unité ; sur les discutables, liberté, dit la bonne théologie ! Cet aspect du livre constitue son intérêt documentaire majeur, un digest d’une partie de l’oecuménisme actuel et peut-être de sa sophistique.

Sur une toile de fond qui concerne aussi l’histoire de la vie soviétique sur quarante ans, les relations internationales, la mafia et la société italienne de la démocratie chrétienne, Volkoff peint son icône d’un saint méconnu et martyrisé. Une foi dans le destin secret de la Russie se maintient dans l’œuvre de Volkoff, depuis sa biographie de Vladimir Soleil Rouge, mélange de Clovis et de Charlemagne russe, prince canonisé. On renvoie le lecteur au roman pour une lecteur en parallèle de la vision chez Volkoff des rapports entre Etat et Eglise. Un vieux débat entre chrétiens. Quant au messianisme russe, plus que latent dans le livre, il devient difficile de le prendre au sérieux : à force de sauver le monde sans qu’il s’en rende compte, la Russie éternelle chrétienne (thème slavophile) de Vladimir à Vladimir Poutine oublie trop de se sauver elle-même et l’interprétation de l’histoire par le sacrifice (la vérité du christianisme est de demander pardon et non de pardonner, même si nous avons raison, dit le métropolite) relève vraiment de la foi du charbonnier.

Le plaisir d’un roman d’espionnage tient bien sûr à l’intelligence de l’invention et en ce cas de l’imbrication du réel et du fictif. Volkoff est un habile inventeur et l'on ne révèlera pas ici les détails de l’intrigue. Quant à la «métaphysique», rien n’empêche le lecteur de la lire avec la distance qu’il voudra et de décider s’il veut la mettre au crédit de l’humour, même involontaire, de l’auteur.

Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 20/05/2004 )
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