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Littératureet Romans & Nouvelles  

Ceux d'Arasolé
de Francesco Masala
Zulma - Dilecta 2005 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 90 pages
ISBN : 2-84304-326-3
FORMAT : 12x18 cm

Le bon dieu avait un cor au pied à l’endroit d’Arasolé

Francesco Masala, le sarde, poète du sang et du sol de son île, au confint d’une Italie à peine unifiée, nous entraîne dans l’enfer de la Seconde Guerre mondiale. Sur le front russe, la débâcle annoncée n’épargnera pas la vie de quelques vingt-six-mille italiens pris au piège de l’hiver continental. A propos de la retraite de Russie napoléonienne, Victor Hugo écrivait : « Pour cette immense armée, un immense linceul»... Bégaiement de l’Histoire...

Le survivant d’une telle boucherie se demande ce qui lui vaut la grâce d’être toujours de ce monde. Le sonneur de cloches, lui, sait : son devoir est la célébration des neufs hommes disparus dans les miasmes d’une guerre dont la seule réalité tangible était la feuille de mobilisation rouge que le vieux Pasquale Corru, le facteur, distribua, ce dimanche de juin aux dix hommes d’Arasolé, petit village de Sardaigne, si minuscule «que l’odeur d’encens qui sort de la vieille église de Prêtre Fele arrive jusqu’aux dernières maisons». Ici, la vie est dure à gagner mais bien organisée, chacun à un surnom, tous ont une place, un rôle dans une vie sociale de proximité, de complicité, de simplicité. Tous vont mourir de la guerre, cette épidémie dévastatrice qui atteindra des hommes vigoureux, les rabaissera au rang de bêtes puantes, infestés de poux, terrés dans des boyaux boueux, fiévreux et transis de froid, plus affamés que jamais aux ordres d’un capitaine «chie et pue» dont l’atrocité n’a d’égal que le ridicule.

«Les morts, à Arazolé, peuvent reposer tranquillement. Il arrive que les vivants restent sans rien à manger, mais les morts sans cloches, çà non». Le carillonneur, en ce jour de vingtième anniversaire, sonne la messe des durs à cuire, «neufs candélabres, et neuf grandes bougies allumées pour les neufs âmes de ceux qui sont morts à la guerre»... Tout le village est là, veuves éplorées, mères résignées, éternelle fiancée, enfants orphelins, femme adultère doublement endeuillée, toutes coupées du monde des vivants, dont l’avenir n’est qu’un passé désespéré, oublié dans les plaines glacées d’un communisme improbable.

Le sonneur de cloches, se souvient et raconte la vie de ces neuf hommes, gais, espiègles, coquins, farceurs, drôles, «vaincus, prisonniers, pauvres» face «aux vainqueurs, geôliers, riches». De chair à patrons, dans la même incompréhension du monde, ils seront chair à canons...

Avec des mots de cristal, une écriture aussi légère qu’un flocon de neige fondant au soleil d’une île méditerranéenne, Francesco Masala, dans ce très court roman, nous rappelle que dans bien d’endroits «le bon Dieu» a «un cor au pied»...

Raymonde Roman
( Mis en ligne le 17/08/2005 )
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