L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

J'ai épousé un communiste
de Philip Roth
Gallimard - Du Monde Entier 2001 /  19.85 €- 130.02  ffr. / 408 pages
ISBN : 2-07-075556-8

Le torrent de l'Histoire

Un grand cru rothien ! Comme dans son précédent roman, Pastorale américaine, l'écrivain fait revivre une décennie de l'histoire des Etats-Unis : il s'agit cette fois de l'après-guerre, marqué par le début de la guerre froide et le maccarthysme. Roth raconte la grandeur et décadence d'Ira Ringold, cet agitateur politique broyé par les forces implacables de l'Histoire.

J'ai épousé un communiste est un livre à deux voix : celle de Nathan Zuckerman (double fictif de l'auteur apparu pour la première fois en 1974 dans Ma vie d'homme) et celle de Murray Ringold, frère aîné d'Ira et qui fut autrefois le professeur de littérature de Nathan.

Six nuits d'affilée, Murray Ringold raconte à son ancien élève le destin tragique d'Ira : son déniaisement politique sous l’égide de Johnny O'Day, un militant marxiste pur et dur ; ses débuts dans la carrière d'acteur où, son physique de géant dégingandé aidant, il incarne Abraham Lincoln à l'occasion des fêtes syndicales ; son mariage enfin avec Eve Frame, ex-star du muet devenue la "Sarah Bernhardt des ondes". Le couple, que Murray a toujours jugé mal assorti (Eve est une intellectuelle, Ira un rustre), s'entredéchire. Trahissant son époux en écrivant un livre intitulé J'ai épousé un communiste, Eve précipite Ira dans une déchéance dont il ne se relèvera pas.

A travers la voix de Murray Ringold, Roth raconte les différentes étapes de la "chasse aux sorcières" et fait le portrait sans complaisance d'une Amérique déboussolée, où l'intrigue a envahi la politique et où la presse, toute-puissante, fait et défait les destins. L'Histoire est désormais mue par le seul ressort de la trahison, cette spirale aveugle qui s'étend à toutes les sphères de la société, marquant le triomphe de l'irrationnel.

Nathan Zuckerman écoute, charrié et transfiguré par les paroles de l'ancien professeur de littérature à présent nonagénaire, le torrent de l'Histoire. Roth est le grand romancier des voix. Il y avait l'intarissable et truculent Portnoy dans le roman éponyme comme il y a maintenant le discours-fleuve de Murray.

Mais l'analogie s'arrête là. Le romancier s'est assagi, loin désormais de l'idiotisme de Pornoy's Complaint ou de la fantaisie débridée du Sein. Portnoy était le roman du fils, le monde était décrit selon son point de vue. J'ai épousé un communiste, à l'inverse, est le roman du(des) père(s).

En filigrane, Roth nous donne à lire les illusions perdues de Nathan Zuckerman, que Murray force à revenir de son admiration pour Ira Ringold. Ainsi pourrait-on parler d'un roman de formation en abyme, Nathan étant confronté à la destruction d'un des mythes de sa jeunesse, condition nécessaire à l'entrée dans "l'état d'orphelin absolu, l'âge d'homme".


Thomas Regnier
( Mis en ligne le 25/06/2001 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)