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Littératureet Romans & Nouvelles  

L'Amour humain
de Andreï Makine
Seuil - Cadre rouge 2006 /  18 €- 117.9  ffr. / 294 pages
ISBN : 2-02-088426-7
FORMAT : 14,0cm x 20,5cm

La haine l'emporte

Elias Almeida est ce palimpseste des douleurs appliquées par l'Histoire, la preuve en chair que Clio est joueuse. Révolutionnaire bringuebalé par le Temps, d'Afrique en Sibérie, entre Ernesto Guevara et les charniers Somaliens, entre l'indécence des mondanités universitaires, les érudites arguties de spécialistes ignorants et le sang de femmes violées, d'hommes torturés à l'ombre d'une case...

L'Amour humain est le récit d'un parcours individuel ensablé dans l'Histoire. Elias, dans ce tumulte, conserve quand même son jardin secret, un amour sibérien, une femme, Anna, qui suffit à lui donner ce rien de cécité aux malheurs du monde, puissant psychotrope, remède pour la survie : « En fait, il n'avait que son amour à opposer à la démence de cette farce» (p.247).

Mais qui, des idéaux révolutionnaires et de la femme, l'emporte ? A la fermeture du roman, on ne saurait répondre. La dulcinée n'est-elle pas au final que l'appui sur lequel nourrir sa ferveur politique, une oasis ?...

Tout passe par le souvenir du narrateur, compagnon d'Elias, qui aujourd'hui, ressent cet écoeurement né d'un impossible décalage : entre les violences perpétrées à quelques kilomètres et le calme engourdissant d'une salle de conférence, l'assurance des professeurs, des écrivains, et le mutisme assourdissant des corps qu'on massacre. Une femme glousse sous les caresses d'un quidam, dans la chambre d'à côté, et le narrateur revoit la boucherie qui, d'hier à aujourd'hui, et demain encore, défigure l'Afrique.

Peut-être le ton, évidemment désabusé, pour ne pas dire en plein renoncement, altère-t-il l'élan du roman. La Révolution comme l'amour pour une femme s'en ressentent, moins palpables, simplement éteints à force de coups. S'agit-il alors d'amour humain ? Au final, la haine l'emporte...

Un beau roman, grave, où le souvenir, filé au gré des oeuvres, poursuit son ternissement. Car on n'a plus ici le douce nostalgie de la «petite pomme» (Le Testament français).

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 05/02/2007 )
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