L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

L'Italie par ses écrivains
de Fabio Gambaro
Liana Levi 2002 /  12 €- 78.6  ffr. / 144 pages
ISBN : 286746268X

Entretiens avec Umberto Eco, Vincenzo Consolo, Claudio Magris, Rosetta Loy, Andrea Camilleri, Alessandro Baricco, Bruno Arpaïa

Portraits d'une nation

A l'heure où le Salon du livre met en vedette l'Italie, Fabio Gambaro, essayiste et chroniqueur au Monde et au Magazine littéraire a choisi de faire découvrir au public français une littérature dont on ne connaît souvent, pour s'en tenir au XXe siècle, que les "figures tutélaires" (Pirandello, Moravia) ou les auteurs de best-sellers mondiaux (la triade Eco/Tamaro/Barrico). Au-delà d'une démarche strictement littéraire, Gambaro a demandé à des auteurs moins médiatisés d'évoquer leur pays, son évolution et ses défis pour les années à venir. Les portraits qu'ils en brossent révèlent la complexité, la richesse et les paradoxes de la Péninsule.

L'Italie connaît, il est vrai, depuis la fin des années 70 une mutation profonde (le transformismo), tant sur le plan social que sur le plan culturel et politique, tout en restant profondément ancrée dans ses traditions. Une dichotomie qui résume à elle seule l'éternelle rivalité entre les régions du Nord, fortement industrialisées, et le Mezzogiorno rural. Il n'est d'ailleurs pas anodin que cette double tension nourrisse la réflexion du plus âgé et du plus jeune des écrivains interrogés, Andrea Camilleri (né en 1925) et Bruno Arpaia (né en 1957). Pour ce dernier, le poids du Nord est tellement écrasant qu'il est devenu capital "de baisser le barycentre de l'Europe vers le sud" pour équilibrer économiquement les deux pôles. Mais la mafia, qui rôde toujours en arrière-plan des romans de Camilleri, est un frein important à un tel développement, malgré l'évolution des mentalités. Véritable mythe fondateur italien, la Pieuvre n'a pas échappé à ces mutations. Affaiblie un temps, constate Vincenzo Consolo, elle a repris du service en se déplaçant vers le nord et en faisant table rase de son code d'honneur. Un retour en arrière qui fait écho à une régression de la société italienne depuis l'avènement de la droite berlusconienne : l'individualisme supplante peu à peu le sens de la solidarité, la société est "malade d'égoïsme" (Arpaia) et, propagée par la télévision, l'"inculture de masse" (Consolo) règne.

Cette montée en puissance d'un ultralibéralisme teinté de xénophobie préoccupe l'ensemble des auteurs interrogés, avec une intensité variable toutefois. Pour Alessandro Barrico, qui se définit autant comme Italien que comme Européen, Berlusconi est "un curieux businessman dont l'aventure me paraît moins intéressante que celle de Reagan" quand Rosetta Loy le rend responsable du "retour d'une mentalité fasciste". Umberto Eco, pour sa part, s'inquiète moins de Berlusconi que de l'extrême naïveté des Italiens ayant voté pour lui. Un manque de lucidité qui, transposé à la lecture, conduit Andrea Camilleri à ce constat désabusé : "Les lecteurs s'amusent trop en lisant mes livres. Personnellement, j'aimerais qu'ils rient moins et réfléchissent plus."

Variés dans leurs propos et leurs thématiques, ces sept entretiens constituent une introduction idéale au "printemps italien" qui s'annonce dans les librairies françaises.

Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 21/03/2002 )
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