L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Beckett
de Didier Anzieu
Seuil 2004 /  25 €- 163.75  ffr. / 265 pages
ISBN : 2-02-062980-1
FORMAT : 14x21 cm

Le miroir dans le miroir

Beckett. Ce titre incisif suffit à dresser la toile de fond de l’ouvrage de Didier Anzieu, qui traite autant de lui-même en tant qu’ouvrage en construction, que de son objet véritable : l’écrivain Samuel Beckett et son processus créateur si particulier, enclenché à l’arrêt volontaire d’une psychanalyse avec le jeune Wilfred Ruprecht Bion à la Tavistock Clinic de Londres, en 1934 et 1935. Cette psychanalyse avortée constitue l’arrière-plan du livre de Didier Anzieu et le nourrit. Anzieu propose une thèse originale, selon laquelle Beckett aurait élaboré son style en référence implicite au processus analytique : son œuvre serait alors une sorte d’auto-analyse adressée à un psychanalyste absent. Beckett contourne ainsi le procédé cher à Freud, en conservant la psychanalyse comme règle de jeu, mais en substituant le «soliloque intérieur» des personnages au recours au psychanalyste - «interprète» trop encombrant. L’auto-analyse comme processus créateur.

Les œuvres de Beckett, dominées par l’obsession de la condition humaine («Vous êtes sur terre, c’est sans remède», nous avertit-on dans Fin de partie), se baseraient donc, pour la plupart, sur des événements de la vie de l’auteur irlandais, camouflés derrière une désinvolture et une dérision au goût amer, qui parviennent pourtant à nous faire parfois rire de nos propres malheurs.

Ecrit avec passion et sans pédantisme, dans un style très personnel, un peu à la manière d’un journal intime, l’ouvrage de Didier Anzieu n’a pour autre but, si l’on en croit son auteur, que de donner envie de lire ou de relire Beckett. Et ça marche ! Le style de Didier Anzieu n’est pas sans rappeler celui de Beckett lui-même : coïncidence, geste intentionnel ou manipulation inconsciente ? L’auteur se pose parfois lui-même ces questions, et n’hésite pas à s’adresser directement à son lecteur pour lui faire part de ses difficultés ou de ses impasses, ou même à lui lancer des défis (comme celui de chercher dans un chapitre le «morceau de bravoure» !). Toutes ces interpellations rendent le récit incroyablement vivant et presque, pourrions-nous dire, interactif ! Celui-ci se compose d’analyses, d’anecdotes et de conversations imaginaires, non dépourvues d’humour, avec un lecteur intraitable, qui nargue l’auteur et le pousse dans ses derniers retranchements. Un lecteur très érudit, ceci dit, et calé en psychanalyse ! L’ouvrage est constitué de sept chapitres (sept, comme la Création du monde), mais l’auteur, ne parvenant décidément pas à terminer son livre (peur de la fin, de la mort ?), nous offre sept Post-scriptum en vis-à-vis !

Didier Anzieu fait souvent le rapprochement entre les liens unissant le lecteur à l’auteur, à ceux unissant le patient à son analyste. La relation Beckett-Bion nourrit la réflexion de Didier Anzieu sur son propre processus créateur, à la manière d’une auto-analyse : Didier Anzieu se substitue fictivement à Bion, Beckett devient donc son patient a posteriori, ce qui le renvoie à lui-même en tant que psychanalyste et en tant qu’auteur. Triangle multiple ou multi-triangle, le Beckett de Didier Anzieu est une anamorphose, une sorte de mise en abyme des liens psychanalyste–patient, auteur-lecteur. Vous suivez ?

Célia Costeja
( Mis en ligne le 29/03/2004 )
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