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Littératureet Poésie & théâtre  

Le Retour
de Harold Pinter
Gallimard - Du Monde Entier 2012 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2-07-246532-1

Philippe Djian (traduction)

Pinter/Djian

Le retour est une pièce du célèbre dramaturge anglais Harold Pinter (1930-2008), auteur du Monte-plats (1958), L'Anniversaire (1958), Le Gardien (1959) ou encore L'Amant (1962). Il est aussi l’auteur de scénarios avec le cinéaste Joseph Losey, comme The Servant (1962).

Le Retour a été créé à Londres par la Royal Shakespeare Company à l'Aldwych Theatre, en 1965, et présenté l'année suivante à Paris dans une adaptation d'Éric Kahane – mise en scène de Claude Régy. En 2000, la pièce fut donnée à la Comédie-Française, puis reprise en 2012 par Luc Bondy à l'Odéon-Théâtre de l'Europe avec la traduction de Philippe Djian dont voici la publication.

Les pièces de Harold Pinter se remarquent par un style précis, sobre et quasiment maniaque. Elles se situent souvent dans des intérieurs anglais méticuleusement décrits. Les personnages conversent normalement quand, tout à coup, leur langage se lézarde, révélant une faille ou une étrangeté sans que cela perturbe autrui, comme si tout paraissait normal. Harold Pinter se situe dans une mouvance post-kafkaïenne, assez proche d'un Eugène Ionesco (sans le grotesque et la bouffonnerie) ou d'un Samuel Beckett par ce côté absurde et étrange, faisant surgir l'irrationnel dans une quasi parfaite tranquillité. Un fait saillant de la première partie de sa carrière plus complexe et plus intéressante que la seconde due à un engagement politique plus convenu.

Et c'est bien ce qui arrive dans cette pièce remarquable. Teddy, professeur dans une université américaine, revient avec sa femme, Ruth, dans la maison de son enfance, à Londres. Il retrouve sa famille qui n'a pas quitté la vieille demeure. Max, son père, Sam, son oncle, Lenny et Joey, ses frères.

Harold Pinter s'inscrit somme toute dans une grande «tradition» littéraire consistant à lover l'étrange dans la plus lisse normalité. Ainsi le père peut à quelques scènes près traiter Ruth, la femme de son fils, de traînée, de pute, puis l’accueillir à bras ouverts comme la plus prestigieuse des invitées. De même, Ruth, à son tour, peut être fort ambiguë avec l’un des frères tout en étant amoureuse de son mari… La force de la pièce est de jouer de cette juxtaposition contradictoire sans aucune explication et sans que l’ordre, le comportement ou la psychologie des autres personnages n’en soient nullement bouleversés. Tout paraît donc tout à fait «logique» et «normal» ; en cela, Harold Pinter indique un arrière-plan où les individus sont comme traversés par des émotions ou des sentiments radicalement «contradictoires» avec leur univers «bourgeois», dépassant cette seule catégorie pour tracer un portrait complexe et aléatoire de ce qui sous-tend la nature humaine. Il en allait de même dans L’Amant où le mari et l’amant étaient joués par le même personnage…

Se dessine donc une atmosphère «absurde», où la brutalité et la civilité se profilent dans le même espace-temps, dans la même continuité, comme si la conscience et l’inconscience étaient mises sur le même tapis, jetées sur un décor le plus stylisé et le plus commun possible, le tout renforcé par le style «anodin», «clinique» et faussement «neutre» de l’auteur, accentuant l’étrangeté par contraste du réel que l’on croyait anodin. Une grande pièce.

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 28/11/2012 )
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