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Dossier: Irène Némirovsky - Introduction



Un dossier présenté par Muriel du Brusle

Irène Némirovsky (Kiev 1903-Auschwitz 1942)

" Aucun style ne me semble avoir, parmi ceux des écrivains contemporains - j'excepte Colette - cet accent, cette race, cette classe. Aucun de tous ceux qui nous amusent, qui nous intéressent, qui nous plaisent, aucun n'égale cette jeune femme...". Ces lignes de Paul Reboux témoignent du formidable accueil que réservèrent le public et les gens de lettres à Irène Némirovsky, jeune écrivain d'origine juive ukrainienne arrivé à Paris à la faveur de la Révolution Russe. Encensée par la critique, amie de Cocteau et Kessel, louée par Maurois et Brasillach, tous célébrèrent la pureté de son style, l'acuité de son observation, la puissance de ses oeuvres.

Mais aujourd'hui qui se souvient de ses romans où elle contait la Russie de son enfance, les affaires et les juifs, les femmes vieillissantes veillant jalousement sur leur beauté déclinante, la bourgeoisie française des années 20, des années 30? Qui se souvient de David Golder, l'histoire de ce vieil israélite faiseur d'argent anéanti par la solitude et l'orgueil et portée à l'écran en 1930 un an après sa publication? L'oubli qui caractérise l'oeuvre d'Irène Némirovsky constitue certainement l'une des plus désolantes injustices de l'histoire littéraire française du siècle qui s'achève. Une injustice qui trouve certainement ses fondements dans la disparition brutale de l'auteur fauchée en pleine gloire à Auschwitz en 1942, puis dans le chaos de la libération et l'avènement de courants littéraires en rupture avec la période foisonnante et bénie de l'entre-deux-guerres.

Il aura fallu attendre 1985 pour que Grasset sorte progressivement du purgatoire ses meilleurs livres désormais disponibles dans la collection Les Cahiers Rouges. Cette réhabilitation semble s'accélérer en cette année 2000 avec l'arrivée chez Stock de Dimanche, un recueil qui réunit pour la première fois quinze délicieuses nouvelles jusqu'alors réservées aux archives des revues qui les publièrent. Stock réédite également Le Mirador, remarquable ouvrage d'Elisabeth Gille, fille cadette de l'auteur. Autobiographie rêvée de sa mère, écrite à la première personne, Le Mirador publié en 1992, est aujourd'hui indissociable de l'oeuvre d'Irène Némirovsky. Mêlant le vrai et l'imagination, il apporte un éclairage particulier sur la destinée singulière d'une jeune femme qui concédait à Frédéric Lefèvre, rédacteur en chef des Nouvelles Littéraires: "Les jeunes femmes françaises n'ont pas habituellement l'expérience humaine que les circonstances m'ont permis d'acquérir...". Doux euphémisme pour celle qui, née à Kiev en 1903, fut le témoin des plus violents soubresauts de l'histoire du vingtième siècle, se tenant à la croisée des cultures juive, russe et française.

De ces circonstances découle sans doute la puissance de ses écrits qui tranche avec ses apparences joyeuses et lisses. En témoigne la force tour à tour tranquille, contenue, violente qu'elle insuffle à ses personnages. Leur vraisemblance est certainement le fruit d'une sensibilité aiguë au monde et d'une perception profonde des méandres de l'âme.

Exploitant à maintes reprises les thèmes de la solitude - lancinante et terrible -, des diktats de la beauté éphémère, des rapports mère-fille résultant des sourdes frictions qui l'opposèrent à la sienne, l'auteur porte un regard lucide et sans concession sur le monde qui l'entoure. Nombreux sont ses portraits nés "à Biarritz du spectacle de tous ces oisifs, détraqués et vicieux, de tout ce monde mêlé de financiers, de banquiers douteux, de femmes à la recherche du plaisir et de sensations nouvelles, de gigolos, de courtisanes...". Mais si elle observe, Irène Némirovsky ne juge pas. Elle se sert de l'écriture pour livrer dans une langue enchanteresse le fruit de ses interrogations, laissant au lecteur le soin de détecter dans l'ambiguïté des personnages, la part de responsabilité, la part de justification.

La qualité de son oeuvre - treize romans, une biographie de Tchekhov et de nombreuses nouvelles - repose également sur un style narratif rapide, précis, dégagé de toute considération extérieure à l'intrigue. Véritable hommage à la langue française, sa plume étonne par sa pureté, par l'enchaînement fluide des phrases et des mots qui rendent la lecture limpide et savoureuse. Pour preuve David Golder ou Le Bal, ses romans les plus connus mais aussi les magnifiques récits qui ont pour cadre son pays natal. On retiendra notamment Les Mouches d'automne, un texte éblouissant sur l'exil et la nostalgie; Le Vin de solitude, largement autobiographique; L'Affaire Courilof montrant l'ambivalence des sentiments d'un révolutionnaire à l'encontre du ministre qu'il doit assassiner; Un enfant prodige ou le talent et la chute d'Ismaël, enfant poète issu du ghetto juif d'un petit port bariolé de la Mer Noire. Dans ces romans souffle l'âme russe, hermétique à celui qui n'a pas vécu dans ces espaces illimités aux hivers étincelants et glacés.

Le charme des récits d'Irène Némirovsky tient sans doute à la rencontre de ces influences slaves et d'une certaine expression de l'âme juive, lancinante et incontournable... Cosmopolite, brillante, - "en elle se mêle, accord parfait et rare, l'intellectuelle slave, familière aux habitués de la Sorbonne, et la femme du monde" - la jeune femme aura finalement été rattrapée par ses origines juives, celles en lesquelles elle se reconnaissait le moins. Reste son oeuvre à relire ou tout simplement à découvrir pour la beauté de la langue, la magie du récit et le témoignage précieux et intimiste d'une époque douloureuse et folle à jamais révolue...


Muriel du Brusle
( Mis en ligne le 08/08/2000 )
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