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Un entretien avec Emile Brami - auteur de Art brut



L'enfermement est l'une des formes ultimes de la liberté intellectuelle

Parutions.com : Du camp d'Histoire de la poupée à l'hôpital psychiatrique d'Art brut, vos personnages ne semblent accéder à leur pleine liberté qu'en subissant l'enfermement. Comment expliquez-vous cela ?

Emile Brami : Aussi curieux que cela paraisse, l'enfermement me semble bien être une des formes ultimes, et peut-être la seule réelle, de la liberté intellectuelle. Dans mon roman, le père Mimile n'accède à l'état de peintre que durant son séjour à l'asile. L'enfermement donne du temps et du pouvoir de réflexion. Il constitue une sorte de rite de passage.

Parutions.com : Ici, le geôlier prend les traits ambigus d'un docteur. On pense évidemment à Van Gogh et au Dr Gachet...

Emile Brami : Oui, mais ils ne m'ont pas servi de modèle. C'est plutôt Antonin Artaud et le Dr Ferdière qu'il faudrait citer. J'ai lu les Lettres de Rodez et j'ai particulièrement été impressionné par celle où Artaud supplie, se traîne littéralement aux pieds de Ferdière (un homme plutôt médiocre, si j'en crois un ami qui l'a bien connu), afin d'échapper à une série programmée d'électrochocs. Emile pourrait l'avoir écrite au Dr Garrigou...

Parutions.com : Ce séjour à l'asile est en fait le point de bascule de l'existence de Lepère. C'est aussi à partir de lui que se construit le mensonge autour du père Mimile.

Emile Brami : En l'occurrence, on est moins dans le registre du mensonge que dans celui du masque. Emile Lepère est en quelque sorte l'auteur de son mythe et, en tant que tel, son oeuvre, dès lors qu'elle est du domaine du concret, repose forcément sur les divers masques qu'il va revêtir successivement ou simultanément.

Parutions.com : L'auteur, ou plutôt le coauteur. Dans son entreprise de mythification, il est en effet aidé par un étrange personnage, mi-agent artistique, mi-pygmalion : l'Inventeur. Un double du romancier ?

Emile Brami : J'espère que non ! Il est, c'est vrai, celui qui "invente" le personnage de Mimile, littéralement. Mais il symbolise surtout l'irruption du marché dans le monde de l'art. C'est lui qui, en rentabilisant Mimile, lui donne une place dans le monde de l'art, puisque désormais la valeur artistique d'un peintre et sa cote se confondent.

Parutions.com : D'une façon plus romanesque, Art brut semble s'inscrire dans le prolongement d'Histoire de la poupée. Constituent-ils un cycle ?

Emile Brami : Oui, en fait il s'agit d'une trilogie dont Art brut aurait dû représenter le premier volet, Histoire de la poupée le deuxième, et un livre actuellement en cours d'écriture le troisième et dernier. Ce troisième volet sera le plus explicitement autobiographique.

Parutions.com : Vous avez été peintre vous-même, votre personnage principal porte votre prénom... Il n'en faudrait pas beaucoup plus pour voir dans votre livre une autobiographie romancée.

Emile Brami : Ce serait une erreur. Je n'ai jamais été peintre, j'ai tenté de l'être, mais je n'avais pour le devenir ni la qualité artistique ni l'indispensable force morale. Quant au personnage principal, s'il porte mon prénom c'est qu'en effet il est très proche de moi. Mais le danger est de créer une de ces confusions insupportables entre les personnages de fiction et l'auteur, même si je fais tout pour que cette confusion soit la plus forte possible. J'ai appris, par exemple, que le directeur du musée de Lausanne [où se déroule la scène finale du livre] s'est senti agressé par le livre. Mais, dans le contexte qui est celui de mon roman, Mimile ne peut parler qu'avec dédain ou mépris du musée puisqu'on y expose ses oeuvres « d'asile », qu'il n'aime pas. Emile Brami l'individu considère la collection de Lausanne comme un des plus beaux musées du monde - et j'en ai visité beaucoup...

Parutions.com : A la fin du roman, votre personnage déclare : "L'Art brut meurt de la disparition de la Folie". Transposeriez-vous ce constat à la littérature ?

Emile Brami : Malheureusement oui. La folie est la volonté de remplacer une réalité insupportable par autre chose. La littérature d'aujourd'hui est formatée, "ciblée". Les provocateurs ont remplacé les fous et nous perdons au change...

Propos recueillis par Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 21/09/2001 )
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