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Littératureet Entretiens  

Un entretien avec Stéphane Zagdanski - auteur de Noire est la beauté



Le corps de l'écriture

Paru.com : Vous sentez-vous plutôt essayiste ou plutôt romancier?

Stéphane Zagdanski : Je ne fais pas la distinction. A partir du moment où j'y place des enseignements tirés de mon corps, je considère mes essais comme des romans. C'est vrai depuis mon premier, L'Impureté de Dieu. C'est vrai pour Pauvre De Gaulle! qui est un mélange d'essai historique, d'essai plus littéraire, de journal intime, de véritable roman, etc... Je considère le roman dans un sens très large. Pour moi, l'essayiste est une des émanations du romancier. Le roman est le genre littéraire absolu. La pensée et la fantaisie vont de pair. Je cite toujours cette phrase de La Bruyère : "On ôte de l'histoire de Socrate qu'il savait danser."

Paru.com : Venons-en au livre, Noire est la beauté. Dans un chapitre, vous mettez en scène Picasso : "La femme est une huître sur laquelle il faut verser un peu de citron. Le citron, c'est toi. Baiser, c'est bien, mais ça n'ouvre pas une femme aussi bien. Tu peux avoir baisé mille femmes et n'en avoir ouvert aucune, tu comprends ? - Je comprends, Pablo." Ces propos sont-ils réels ou fictifs ?

Stéphane Zagdanski : Complètement imaginaires! Mais j'ai lu beaucoup de propos de Picasso et j'ai tenté de retrouvé le ton à la fois sérieux, ironique et spirituel que celui-ci adoptait dans ses entretiens. Il parle d'une de ses gravures qui doit d'ailleurs être quelque part sur mon mur (elle y figure en effet - le mur est littéralement tapissé de reproductions de peintures et de portraits d'écrivains - quelque part entre la mine auguste de Shakespeare et celle, plus crispée, de Joyce.) et qui représente un cunnilingus. Il s'agit d'un des dessins de la série Raphaël et de la Fornarina, qui date de 1968, je crois. C'est une formidable réflexion sur le rapport sexuel !

Paru.com : Dans le titre, "noire" est à lire au sens propre - vous faites l'éloge de la négritude - mais aussi au sens figuré. Pouvez-vous me parler de cette ambivalence?

Stéphane Zagdanski : J'ai conçu tout le roman comme une parabole tirée du début de l'Evangile de Jean sur la lutte entre les ténèbres et la lumière. Ici, les ténèbres sont du côté de la lumière, comme une sorte de lumière négative. Il y a beaucoup de métaphores solaires, lumineuses, à propos de la peau des Africaines comme de leur manière d'être en général. A l'inverse, les Blancs sont du côté de la non-luminosité, du pessimisme, de l'absence d'énergie. Inutile de vous dire qu'aucun critique ne l'a remarqué !

Paru.com : Cela représente quoi pour vous, écrire ?

Stéphane Zagdanski : C'est laisser son corps s'exprimer par quelque chose qui semble extraordinairement abstrait, le langage, et qui pourtant est extraordinairement concret, qui est d'une intensité charnelle très forte. C'est pour cela qu'un de mes premiers textes s'appelle La Chair et le verbe (je suis en train de le relire pour préparer un recueil de textes). De même qu'un corps est le fruit d'une certaine généalogie, d'une certaine éducation, mais aussi d'une certaine civilisation, de même l'écriture est marquée par là d'où elle vient : plus la mémoire remonte en profondeur dans le temps, plus elle a d'acuité et d'énergie pour décrire, comprendre et lutter contre ce dont elle est contemporaine.

Propos recueillis Thomas Regnier
( Mis en ligne le 24/10/2001 )
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