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Entretien avec Jonathan Galassi - (Muse, Fayard, Août 2016)



- Jonathan Galassi, Muse, Fayard, Août 2016, 262 p., 20,90 €

Poète, auteur, traducteur, éditeur

Parutions.com : Commençons par une question simple : d'où vous est venue l'inspiration pour écrire Muse?

Jonathan Galassi : Il y a eu plusieurs choses mais la plus importante est que j'ai toujours voulu écrire une sorte d'hommage nostalgique pour ce monde de l'édition qui existe dans les mémoires, dont on parle avec respect, que l'on voit comme une activité noble et non un simple business. Je voulais aussi me tester en écrivant un roman, un roman ''mémorial'' montrant que les choses ont changé.

Parutions.com : Avez-vous d'abord construit un script pour écrire le roman?

Jonathan Galassi : Non, je n'avais pas d'histoire en tête mais celle-ci, peu à peu, a émergé. J'ai d'abord écrit le temps d'un été, avançant chaque jour, chapitre après chapitre, sans me relire, sans regarder en arrière. Il fallait simplement que je travaille. Ensuite, quand, l'année suivante, j'ai relu ces pages, je me suis dit que j'avais quelque chose avec cette petite maison d'édition. Quand au personnage d'Ida Perkins, je ne sais pas d'où elle m'est venue. Elle est apparue et elle est devenue cette femme pour qui ces deux éditeurs qui se haïssent se battent. Au fond, Ida incarne l'esprit de la littérature.

Parutions.com : Pour revenir à cette idée d'élégie pour un monde disparu, comment diriez-vous que le monde de l'édition a changé aux États-Unis?

Jonathan Galassi : L'édition a changé énormément à cause de la façon dont les livres sont apportés au lecteur. Il ne s'agit plus tant de considérer avec sérieux ce qui devrait être publié, mais de publier tout et n'importe quoi en suivant une démarche commerciale et non plus un goût personnel pour la littérature.

Parutions.com : Vous expliquez que la poétesse Elizabeth Bishop a eu une influence importante sur vous. Avez-vous mis de votre relation avec elle dans l'écriture de la relation entre Paul et Ida?

Jonathan Galassi : Oui, Elizabeth Bishop est mon mentor, elle est très importante pour moi. Mais elle n'est pas Ida dont le personnage est plus libre. Elizabeth est plus protégée. Je pense que Paul partage certains traits avec moi, en tant que jeune homme tout du moins, mais ce n'est pas moi non plus malgré le fait que nous partageons certaines expériences de vie. D'une certaine façon, tous ces personnages fictifs jouent dans des situations dont je sais qu'elles sont réelles, mais qui sont mises en scène de manière exagérée.

Parutions.com : Avant de rencontrer Ida en personne, Paul pensait qu'il savait déjà beaucoup de sa vie et de son œuvre. Or, il ignorait en fait beaucoup de choses. Peut-on vraiment connaître l'Autre?

Jonathan Galassi : En fait, je crois que c'est l'un des axes du roman. Paul croit tout connaître d'elle, mais quand il fait sa connaissance en Italie, il se rend compte que sa personnalité est bien plus complexe, riche de nombreuses strates. On en vient à se demander en effet si l'on ne peut jamais totalement connaître et comprendre les autres.

Parutions.com : Le personnage de Paul est homosexuel et sa muse Ida est bissexuelle. En quoi leur orientation sexuelle permet-elle de comprendre ces personnages?

Jonathan Galassi : C'est une question essentielle et je ne suis pas certain d'avoir la réponse. Je dirais que la sexualité de Paul est intrinsèque à sa nature. Il est réservé, il manque d'assurance, il n'est pas très bien dans sa peau. Est-ce si inhabituel pour une jeune homosexuel de cette époque, qui ne s'assume pas vraiment? Chez Ida, le champ des expériences érotiques est large, ce qui correspond à son personnage épris de liberté.

Parutions.com : Les personnages de Muse sont tous marqués par le contexte politique de l'après-guerre, dans leurs vies comme dans leurs œuvres. Quel lien établissez-vous entre la littérature et la politique?

Jonathan Galassi : Je pense que la politique a un impact sur tout, de manière directe ou indirecte. Dans le roman, le personnage d'Outerbridge est un bon exemple. C'est un poète stalinien et il souffre à cause de cela. Parce que son attachement politique a fait son temps, il dérive progressivement vers la droite. Dans l'Amérique d'après-guerre, afficher son appartenance au Communisme vous mettait immédiatement en danger. Pour Outerbridge, la Politique est donc cause de contraintes

Parutions.com : Vers la fin du roman, Ida explique à Paul que l'écriture n'est pas la vie mais un moyen de la fuir. Est-ce le cas pour vous aussi?

Jonathan Galassi : Non, je pense que j'utilise l'écriture pour analyser les choses et aller plus loin dans leur compréhension.

Parutions.com : Quand avez-vous commencé à écrire? Que représente la poésie pour vous? Est-ce, comme pour Ida, un moyen de raconter une histoire?

Jonathan Galassi : J'écris assez lentement. J'ai tenté d'écrire de la poésie dès l'époque du lycée, puis à l'université un peu plus. Dans Muse, les premier et dernier recueils d'Ida sont structurés en effet et racontent son histoire, ses mariages et ses aventures amoureuses. Parmi mes propres recueils, Left-Handed est le seul à raconter une histoire. Mais tous mes poèmes racontent d'une manière ou d'une autre ma vie.

Parutions.com : La production romanesque est bien plus populaire que la création poétique de nos jours. On compte pourtant des génies de la poésie au milieu du XXe siècle. Comment les compareriez-vous aux poètes d'aujourd'hui?

Jonathan Galassi : Avec la production poétique aujourd'hui, il se passe beaucoup de choses différentes dans des contextes très différents. Vous avez d'un côté quelqu'un comme John Ashbery, qui adore Bishop et s'inscrit dans sa filiation, bien qu'il soit plus expérimental. Mais on trouve aujourd'hui de nombreux poètes qui ont entre 20 et 40 ans, qui, pour moi, se ressemblent beaucoup, et dont certaines œuvres m'échappent, et d'autres m'emportent. Le processus de la création poétique se poursuit de façon très riche et les poètes de demains décideront qui sont les poètes d'aujourd'hui, qui seront ceux qui mériteront d'être encore lus.

Parutions.com : Ecrivez-vous à la main ou sur ordinateur?

Jonathan Galassi : J'écris sur ordinateur. Je trouve cela plus confortable et pratique. J'aime cela mais je connais beaucoup d'écrivains qui travaillent toujours avec des feuilles et un stylo.

Parutions.com : Paul et Morgan détestent les e-lecteurs et les e-books. Que pensez-vous vous-même de la e-révolution dans l'édition moderne? Que conseilleriez-vous à une génération qui lit de moins en moins?

Jonathan Galassi : Morgan est l'un de mes personnages favoris. Elle préserve une sorte de pureté et joue le rôle de phare moral pour le personnage principal. Pour moi, les ebooks comme les éditions de poches ne sont que d'autres formats servant la littérature ; je ne pense pas qu'ils constituent une menace pour l'édition papier traditionnelle. Un jour peut-être le seront-ils. Mais je n'aime pas lire sur tablette car j'ai l'impression que quelque chose s'interpose entre moi et l’œuvre. J'aime le toucher du papier. J'aime aussi que les romans sur les étagères de ma bibliothèque racontent une partie de mon histoire. Quant aux jeunes lecteurs, je leur dirai de lire tout type de livre pour le plaisir de l'expérience, un plaisir qu'il ne trouveront pas sur les réseaux sociaux. Jonathan Franzen a écrit un essai intitulé How to be alone (''Apprendre à être seul''), sur le besoin de solitude justement.

Parutions.com : Comme traducteur, vous avez beaucoup travaillé sur plusieurs auteurs, notamment Montale et Leopardi, surtout Montale. Que représente son œuvre pour vous?

Jonathan Galassi : Eugenio Montale compte énormément pour moi car il a su assumer sa tradition pour accoucher d'une œuvre moderne et originale, portée par un souffle dramatique absolument convainquant. Il a inscrit sa propre histoire dans le mythe de la littérature italienne, par un jeu de miroirs fascinant.

Parutions.com : Vous avez d'ailleurs aussi publié de nombreux auteurs italiens. Quelle place l'Italie tient-elle dans votre vie?

Jonathan Galassi : J'ai des origines italiennes. Mon grand-père était italien. Il est arrivé en Amérique à la fin du XIXe siècle. Je suis allé en Italie après mes études et je suis tombé amoureux du pays, pour la richesse et l'ancienneté de sa culture, que j'ai comprise comme une part de moi-même. J'ai donc voulu aller plus loin dans son exploration. Montale fut d'ailleurs l'un de ces voyages, l'un des plus fascinants.

Parutions.com : Vous êtes traducteur, éditeur et auteur. Comment jonglez-vous entre ces fonctions?

Jonathan Galassi : La traduction est aussi de l'écriture et l'on ne peut donc être un bon traducteur, selon moi, si l'on est aussi un bon écrivain. Il faut dans les deux cas du talent et beaucoup de travail. Quand au rôle d'éditeur, je le sépare au contraire de celui d'écrivain ; je ne parlerai jamais de mon travail d'écriture avec mes auteurs parce qu'ils attendent de moi que je sois entièrement là pour eux. Pour participer à la publication d'un livre, il faut être ouvert, intelligent, sensible, travailleur, ne pas manquer d'humour, et, avant tout, comprendre qu'il s'agit d'un effort collectif. Au final cependant, ces différentes fonctions se rejoignent et correspondent à ce que je veux faire. Aujourd'hui, à 65 ans, je ne sais pas ce dont je suis encore capable mais j'ai entamé l'écriture d'un nouveau roman, différent de Muse, un autre épisode de ma vie.

Parutions.com : Merci.

Entretien mené en Anglais par Yujia Liu, le 27 juin 2016 (Traduction/adaptation : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 07/09/2016 )
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