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Littératureet Entretiens  

Un entretien avec Patrick Besson - auteur de Un état d'esprit

Fayard 2002 /  15 €- 98.25  ffr. / 180 pages
ISBN : 2-213-61187-4

Jeunesse toujours

Après 28, boulevard Aristide-Briand consacré à son enfance à Montreuil, Patrick Besson publie un nouveau livre de souvenirs choisis : Un état d’esprit. Il est ici plus particulièrement question de ses débuts de romancier : la petite chambre de bonne de la rue Ampère, le boulevard Saint- Michel dans les années 70, les paisibles XVe et VIIe arrondissements qu’il parcourt à pied, ses relations avec les éditeurs - déjà un peu conflictuelles -, des écrivains ou journalistes dont il fait la connaissance, des femmes qui "partagent" sa vie ou se contentent d'y passer, cette époque où il écrivait des pièces pour la radio et des articles pour L’Humanité comme pour Le Figaro.

Est-ce parce qu’il est gaucher que Besson ne fait jamais vraiment les choses comme tout le monde ? Ce livre de souvenirs se présente ainsi comme le portrait en sépia de l’auteur en jeune homme. Ses premiers romans comme L’Ecole des absents, La Maison du jeune homme seul, Vous n’auriez pas vu ma chaîne en or ?(réédité par la Table Ronde dans sa collection la Petite Vermillon) ou encore Lettre à un ami perdu ont tous pour héros des jeunes hommes solitaires, volontiers cyniques, hautains mais aussi hypersensibles. Comme si, à quarante-six ans, Patrick Besson ajoutait un nouveau volume à ses œuvres de jeunesse, il est dans Un état d’esprit, semblable aux héros de ces livres-là. Les phrases sont sèches, coupantes, les déclarations absolues, fracassantes, nihilistes : "Je trouve le talent aussi bête que l’absence de talent. Pour moi, rien n’est sacré. Sauf le confort immédiat de ma petite personne." Mais certains passages sont aussi doucement mélancoliques comme ces promenades avec une femme : "La magie de errances polies, timides, dans des villes étrangères", "Je nous revois monter des escaliers et nous embrasser et nous caresser en regardant Grenoble au-dessous de nous, puis je ne nous revois plus."

Rencontre avec un écrivain qu’"aucune phrase ne résume".

Parutions.com : Un état d’esprit est un livre de souvenirs, vous y évoquez vos débuts d’écrivain jusqu’à votre Grand Prix de l’Académie française pour Dara (2000). Il s’agit de votre passé et pourtant vous vous exprimez souvent au présent et parfois même au futur…

Patrick Besson : C’est un livre de souvenirs sans en être vraiment un. J’ai souhaité revenir sur cette période de ma jeunesse comme si j’étais en train de la vivre. Je suis dans ce livre une personne qui évolue dans les années 70 et 80. Ecrire ce livre au présent m’a aidé à me rappeler exactement la jeunesse avant que je ne l’oublie totalement.

Parutions.com: N’est-ce pas une façon de vous croire encore jeune homme ?

Patrick Besson : Peut-être, oui…(rires) Au fond, je fais la même chose qu’il y a vingt ans : je ne travaille pas, j’écris, je lis, je vais dans des restaurants, j’habite rue de Bourgogne, je baise, je touche des chèques de la part des éditeurs. Depuis, c’est vrai, j’ai acquis une télé...

Parutions.com : Vous faites allusion à vos livres sans donner les titres, vous n’indiquez pas de dates, ne désignez les personnes que vous rencontrez que par leur prénom. Ne craignez-vous pas que le lecteur néophyte soit un peu perdu ?

Patrick Besson : Ils n’ont qu’à me connaître ! Non, en fait, si on réfléchit, on s’en fiche de savoir qu’Eric, c’est Eric Neuhoff, que Christian, c’est Christian Giudicelli, on s’en fiche également de savoir que j'ai écrit Lettre à un ami perdu , Nostalgie de la princesse ou encore Vous n’auriez-pas vu ma chaîne en or ? . Dire des choses pareilles ça ne ressemble à rien, ça ne signifie rien et ça réduit le réel en le cloisonnant. Il y a des biographes pour ce genre de détails, d’ailleurs j’en ai déjà un, alors…

Parutions.com : Vous êtes tout de même au cœur du livre, vous en tant qu’individu…

Patrick Besson : Oui, et justement cela me laisse libre de dire ce que je veux comme je le veux.

Parutions.com : Proust que vous avez emporté, racontez -vous, lors de votre premier vol en business class écrit dans ses Carnets récemment publiés chez Gallimard : "La sensibilité va en se desséchant. En ce sens peut-être vrai que les débuts de l’écrivain sont plus vrais." Qu’en pensez-vous ?

Patrick Besson : Proust ne dit sans doute pas cela pour lui, car sa sensibilité n'a fait que s’épanouir avec l’âge, s’exacerber en même temps que l’œuvre s’écrivait. Mais nous parlons d'un génie. Ceci dit, je pense qu'on est effectivement plus vrai quand on débute. On est hypersensible et l’on a beaucoup de choses à dire, souvent contre le monde et parfois contre soi-même. Les vieux, parce qu’ils ont oublié leur jeunesse, ne se rendent pas compte à quel point cette dernière est fragile, sensible souvent sur le point de se laisser mourir plutôt que de continuer à vivre ou survivre comme les vieux qui acceptent les compromis, s’accommodent, ne font plus attention à ce qu’ils sont. A ses débuts, on est très entier et donc très pur, pur comme du diamant, c’est-à-dire coupant aussi…

Parutions.com : Après avoir fait le portrait de votre jeunesse, dans quel état d’esprit vous trouvez-vous ? Soulagé ? Mélancolique, un mot que vous affectionnez ?

Patrick Besson : Je suis soulagé de n’avoir plus vingt-cinq ans parce que c’est terrible. Sans doute aussi suis-je mélancolique : le Cluny s’est transformé en pizzeria, le Petit Cluny est fermé, j’ai vérifié l’autre jour. Il y a plus de magasins de vêtements que de librairies boulevard Saint-Michel. Le boulevard était plus beau il y a vingt ans. Le VIIe arrondissement au moins est tellement bourgeois qu’il ne change pas. Ce livre, j’avais envie de l’écrire maintenant, je l’ai fait sans chercher pourquoi. Dans l’écriture, il y a une part d’intuition qu’on ne peut expliquer.

Parutions.com : Vous écrivez à la fin du livre : "Je n’ai rien écrit. Je ne suis rien. La littérature n’est pas vraie. Le monde n’existe pas." Et maintenant, avec une bibliographie qui tient sur trois pages, à quoi croyez-vous ?

Patrick Besson : Et vous ? Vous croyez que vous existez ? Vous croyez que ce que vous écrivez existe ? Vous avez des preuves ? Tout n’est peut-être qu’un rêve, parfois un cauchemar d’ailleurs.

Parutions.com : Cela peut inciter à ne rien prendre au sérieux …

Patrick Besson : Mais il n’y a rien à prendre au sérieux ! A part peut-être Pierre Benoît, mon écrivain préféré et encore, et encore….

Parutions.com : Avec l’âge, vous ne perdez pas votre désinvolture et votre goût de la provocation. C’est peut-être pour cela que vous parvenez à si bien décrire la jeunesse…

Patrick Besson : La provocation fait partie de ma nature, de ma manière d’aborder le monde. Je suis un diable...

Propos recueillis par Ariane Charton
( Mis en ligne le 18/03/2002 )
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