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Un entretien avec Michel Le Bris



Stevenson et Le Bris

Parutions.com : Comment avez-vous découvert Stevenson ?

Michel Le Bris : C'est une découverte en plusieurs temps... qui n'est peut-être pas encore finie ! Enfant, je l'ai découvert par des images. J'ai lu pour la première fois L'Ile au trésor dans une édition illustrée par le peintre américain Wyeth. Ce sont des huiles de grande dimension, que l'on peut d'ailleurs voir en ce moment dans l'exposition que j'organise sur la flibuste. Ma deuxième rencontre, ce fut lors d'un voyage en Californie sur la trace des chercheurs d'or. Il se trouve que Stevenson, dans sa vingt-neuvième année, avait séjourné en Californie, et que cet épisode avait changé le cours de sa vie. J'ai rassemblé les textes de ce voyage : Les Pionniers de Silverado, mais aussi les textes critiques, la correspondance avec Henry James, dont on ne connaissait qu'une toute petite partie. Henry James tenait Stevenson pour le premier écrivain de son époque, ce qui est assez étonnant. Cette admiration était réciproque... J'ai ensuite commencé à dépouiller la correspondance, presque illisible, je me suis peu à peu familiarisé avec l'écriture. De ce voyage date mon premier essai biographique, La Porte d'or. Ce travail est d'ailleurs loin d'être terminé : j'ai commencé récemment une biographie sur Stevenson qui comportera au moins trois volumes !

Parutions.com : Dans la préface à l'Intégrale des nouvelles, vous parlez du processus de création propre à Stevenson.

Michel Le Bris : Stevenson était un autodidacte complet. Il n'a presque jamais été à l'école. Il a peu fréquenté l'université. Il n'a jamais voulu croire à quelque enseignement de la culture que ce soit, en dehors de la lecture des oeuvres et de la capacité à les reproduire : il passait un temps infini à étudier les procédés narratifs de chaque écrivain jusqu'au point d'être capable de les imiter. Son projet était d'écrire des livres purement littéraires, débarrassés de toutes les références réalistes. Cela a l'air d'un paradoxe, mais c'est ce souci-là, de maîtrise de la technique, qui a produit l'écrivain le plus original de son temps : celui qui a proposé un autre voie à la littérature après Dickens.

Parutions.com : Stevenson est "l'écrivain de la rupture d'avec le monde victorien", dites-vous dans la préface au Cahier de l'Herne.

Michel Le Bris : On se demande parfois pourquoi il avait du mal à écrire. Mais c'est précisément ce qu'il avait à mettre en forme qui lui posait problème : la violence du déferlement de ses ténèbres intérieures. Stevenson a été l'un des premiers écrivains de son temps à s'intéresser à la psychologie. Il était un ami du docteur Myers qui faisait partie d'une société de psychologie. Stevenson avait coutume de noter ses rêves chaque matin.

Parutions.com : Un chapitre sur les rêves...

Michel Le Bris : Ses lettres aussi. J'ai retrouvé dans l'un d'elles l'expression : "the call of the wild", qui fait d'abord référence à l'expérience des pionniers, au choc de la découverte de la force première du monde, force qu'on découvre aussi à l'intérieur de soi. Stevenson découvre qu'on n'est pas seulement le jouet de cette force sauvage, mais qu'on a autre chose en soi, qui est l'imagination. Stevenson comprend l'imagination comme un pouvoir plastique, le pouvoir de créer des images, et l'image est précisément ce qui manifeste et contient dans une forme les ténèbres. Toute sa théorie littéraire s'articule autour de la question des ténèbres : faire surgir quelque chose du coeur des ténèbres... Celles-ci, loi d'être réduites à une théorie, sont manifestées dans leur dimension énigmatique. Il en est de même dans le rapport à autrui : il ne s'agit pas d'interpréter autrui, mais de manifester l'évidence de son étrangeté, étrangeté constitutive de votre propre mystère. Car vous écrivez toujours sur l'étranger qui est en vous... c'est peut-être même l'étranger qui est en vous qui écrit !

Propos recueillis par Thomas Régnier
( Mis en ligne le 06/08/2001 )
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