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Littératureet Poches  

Faber - Le destructeur
de Tristan Garcia
Gallimard - Folio 2015 /  8 €- 52.4  ffr. / 481 pages
ISBN : 978-2-07-046294-0
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en août 2013 (Gallimard - Blanche)

''Je suis le diable et on m’a donné la forme d’un gosse''

Les romans de Tristan Garcia surprennent, étonnent. Dans La Meilleure part des hommes, il avait entrepris de raconter l’histoire qu’il n’avait pas vécue, celle de la communauté homosexuelle dans les années 1980, endeuillée et déchirée par le sida. Deux ans plus tard, il donnait la parole à Doogie, un jeune chimpanzé dans Mémoires de la jungle. Et aujourd’hui ? Tristan Garcia nous livre encore une fois un ouvrage étonnant. Un témoignage sur l’effondrement des classes moyennes ? Un regard désenchanté sur une génération – la sienne – qui a l’âge aujourd’hui de se ranger ou de mourir ? Un exercice – un peu – flamboyant où les narrateurs s’entremêlent les uns aux autres, les styles se mélangent.

Tout commence par une réflexion, celle que l’on trouve dans ces romans qui veulent témoigner d’une époque : «Nous étions les enfants de la classe moyenne d’un pays moyen d’Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération, après une révolution ratée». Un monde dans lequel on devient professeur ou pharmacien, où les instituteurs sont encore membres du SNUIpp : «Bordel, mais c’est quoi cette maison ? Soudain, je réalise : l’intérieur est le même que celui des Olsen rue de Logres, après le pont du Cochon, aux Basses-Filles-de-Dieu, quand on avait douze ans».

Nous sommes en 1981. Basile et Madeleine sont en CE2. Basile est le souffre-douleur, celui qui se pisse dessus à la récré, torturé par Romu. Madeleine, garçon manqué, aussi est à l’écart. Tout change avec l’arrivée de Mehdi Faber, le jeune garçon adopté par les Gardon après le décès de ses parents. Il séduit Basile et Madeleine, bien sûr, qui très vite trouveront le protecteur, le leader qui leur manquait. Les autres camarades également : «Les redoublants lui ont abandonné la zone du «trône» près des toilettes».

De l’école au lycée, cette amitié perdure. Ou plutôt s’impose. «Moi, «Basile la merdasse», je ne suis jamais vraiment revenu d’en être devenu l’ami». Faber fascine. Il est celui qui ouvre au monde Basile et Madeleine. Il les pousse de l’enfance vers l’adolescence, de l’adolescence vers l’âge adulte : «J’ai pensé que nous abandonnions quelque chose. Je n’imaginais même pas que c’était l’innocence, parce que je croyais en être sorti depuis longtemps».

Et une fois adulte ? L’un est devenu prof de français, l’autre travaille dans une pharmacie. Faber qui grandissait trop vite est échoué. Les deux amis le retrouvent. Pour le soutenir ? L’aider ? Non, pour se débarrasser définitivement de celui qui leur a ouvert les yeux. «Qu’est-ce qu’il croyait ? Qu’il pouvait encore me faire du mal et qu’il le ferait. Il se connaissait, savait de quoi il était capable et, seul, il retournait toute sa force de destruction contre lui. Mais je venais pour l’arracher une dernière fois à sa condition. Le voir misérable à ce point ne me guérirait pas : rentrée chez moi, je souffrirais encore pour lui et je ne cesserais pas de lui en vouloir d’avoir pourri du dedans toute ma vie».

Le dernier roman de Tristan Garcia glisse progressivement vers l’intime, un roman sur l’amitié, celle qui révèle, porte et détruit à la fois, celle qu’on loue et celle dont on se détache. Un peu comme le rat dans le film de François Ozon, Sitcom, Faber devient l’élément qui révèle chacun, qui détruit l’existence paisible de Basile et Madeleine dans la ville de Mornay. Comme le regard lucide que l’on pourrait porter sur un pays et des habitants qui veulent l’ignorer : «La France est un pays qui ne compte pas. On n’aura rien fait. On est déjà oubliés, avant même d’avoir fini notre vie».

Grégory Prémon
( Mis en ligne le 06/05/2015 )
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