L'actualité du livre
Littératureet Poches  

La Vie volée de Jun Do
de Adam Johnson
Seuil - Points 2015 /  8.95 €- 58.62  ffr. / 690 pages
ISBN : 978-2-7578-2958-5
FORMAT : 10,8 cm × 17,7 cm

Prix Pulitzer Littérature

Première publication française en septembre 2014 (L'Olivier)

Antoine Cazé (Traducteur)


Fils du régime

Il faut forcer parfois la lecture du roman d'Adam Johnson, dont la densité et la construction alambiquée déroutent, mais la vie de ce ''Forrest Gump'' nord-coréen vaut qu'on s'y accroche. On sortira de la lecture repu, la tête lourde comme des muscles qui font mal d'avoir été trop bandés. Une fatigue saine, en somme. On peut aussi fuir l'effort et la fierté littéraires en se rabattant sur du roman facile. Il y en a des myriades, partout, tout le temps...

L'itinéraire d'un orphelin qui n'était pas orphelin, d'un soldat-matelot l'oreille et l'antenne vissées aux bruits de la mer, alors fasciné par ses rameuses américaines, héroïnes solitaires prisonnières des courants et de la géopolitique ; d'un général qui n'est pas vraiment général, de l'époux de la diva nationale, proche du tyran ; l'itinéraire d'un héros national glorifié... et conspué, figure exemplaire dont l'anti-biographie, narrée par la radio nationale, a été arrachée de notre homme, comme pour tout en ces latitudes, par la torture, beaucoup de torture, le travail appliqué de fonctionnaires formés ad hoc. Et le mensonge.

La narration zigzague dans le temps, change de voix. C'est parfois même la Corée du Nord elle-même qui nous parle, dans sa novlangue caricaturale, lardée de mensonges et d'une fierté patriotique éhontée. Le Commandant Ga est cette vie volée par Jun Do, un homme lui-même à l'existence incertaine, fils d'un maître d'orphelinat (on préfère d'ailleurs au titre français, assez fade, l'original anglais : The Orphan Master's Son), dont la mère, cantatrice, disparut sans crier gare. Jun Do devient Ga et le rival du tout puissant Kim Jong Il. Il peut alors mener à bien son plan, sauver Sun Moon, l'actrice - elle aussi cantatrice - du régime, et l'une des rameuses, faite prisonnière.

Le récit est porté par une imagination précise et une ambition littéraire manifeste, qui vêtissent superbement un sujet digne d'un Prix Pulitzer (l'horreur et l'absurdité totalitaires, la Corée du Nord vue d'Amérique mais sans réel parti pris), prix que l'auteur obtient en 2013 dans la catégorie fiction. Il manque peut-être un peu de chair et de cœur à cette longue fable, de vie dans l'âme de Jun Do, être abruti par un régime dont il a épousé, au final, toutes les logiques.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 09/11/2015 )
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