L'actualité du livre
Littératureet Poches  

L'homme encerclé
de Michèle Rozenfarb
Gallimard - Série noire 2003 /  7.00 €- 45.85  ffr. / 150 pages
ISBN : 2070302113
FORMAT : 13 x 19 cm

Brillantissime

Jean Raizaud, 40 ans, comptable dans une étude de notaire, mène une vie banale et réglée à la minute près. Son quotidien est d’une monotonie désespérante. Et pour cause… Jean est effectivement un grand obsessionnel, bourré de TOC et souffrant d’arithmomanie.

Constamment entravé par des rituels aussi absurdes que nombreux – comme le fait de noter tous les événements de la journée écoulée dans de grands cahiers numérotés – Jean limite ses relations sociales au strict minimum.

Autant dire que l’appel de son frère lui demandant de veiller sur leur père malade, le temps de trouver une infirmière à domicile, est un coup de tonnerre dans son existence. Mais Jean fait courageusement face et accepte, malgré la grande désorganisation qui en résulte dans son quotidien. Hélas, son père décède d’un coma hypoglycémique, suite à un surdosage en insuline d’origine criminelle. Les soupçons se portent d’abord sur lui, mais c’est son frère qui est finalement inculpé. C’est alors que notre «héros» sombre lentement dans un délire paranoïaque très élaboré : persuadé d’être victime d’un complot dans son immeuble et sur son lieu de travail, il envisage tout bonnement de supprimer les persécuteurs désignés…

L’homme encerclé offre une description très réaliste d’un psychotique, chez lequel on retrouve tous les traits d’une personnalité paranoïaque : la froideur affective de ce personnage au Moi hypertrophié n’a d’égale que son profond mépris pour les autres. Misogyne, totalement dénué d’humour et imperméable au second degré – et de surcroît très délirant – Jean Raizaud s’avère néanmoins être, au-delà de son pitoyable aspect et en dépit de son extrême pauvreté intérieure, un homme en grande souffrance. Et ce d’autant plus que le lecteur n’est pas au bout de ses surprises, Michèle Rozenfarb ménageant ses effets jusqu’aux dernières pages. Le rebondissement final révèle dans toute son ampleur le jeu des apparences, et l’auteur transforme habilement (et ironiquement) ce qui était une fausseté du jugement en jugement faux. En clair : le complot n’est pas forcément là où on l’attend, et le délire pas si éloigné de la réalité.

Tout ceci donne parfois lieu à de délicieux quiproquos et autres scènes cocasses : ainsi la description des relations de travail de Jean sont de purs bijoux d’humour, véritable satire du monde de la petite entreprise. Le face-à-face avec l’avocate du héros est également un morceau d'anthologie : ce personnage féminin impassible suscite chez Jean des indignations tout à fait inappropriées et sans fondement, dont l’excès ne manque pas de piquant et de drôlerie.

L’auteur évite ainsi l’écueil de la caricature et brosse un portrait tout en nuances d’un grand paranoïaque. Le judicieux parti pris de présenter l’histoire via les notes du protagoniste plonge pernicieusement le lecteur au cœur de la maladie mentale (à la structure effroyablement organisée), et de la solitude extrême de cet homme qui adhère totalement à son délire sans jamais parvenir à le critiquer. Seul bémol : le langage très soutenu usité par Jean, agaçant au début, mais qui finit par servir les situations comiques, et achève de compléter la personnalité froide et pudibonde de ce triste «héros».

Océane Brunet
( Mis en ligne le 04/09/2003 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)