L'actualité du livre
Littératureet Fantastique & Science-fiction  

A travers temps
de Robert-Charles Wilson
Gallimard - Folio SF 2013 /  7.13 €- 46.7  ffr. / 430 pages
ISBN : 978-2-07-044973-6
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en mai 2010 (Denoël - Lunes d'encre)

Traduction de Gilles Goulet


Un voyageur imprudent ?

Une maison, une «petite maison dans la prairie», un peu écartée de la ville de Belltower : c’est cette maison que Tom Winter, ingénieur en crise et récemment divorcé, achète de nos jours, histoire de rompre le cours d’une existence qui se débine. Mais cette maison est si bien entretenue que c’en est étonnant… et lorsque son propriétaire découvre que la maison s’occupe elle-même de la vaisselle et des tâches ménagères en général, il croit doucement basculer dans la folie. A moins que la maison ne s’occupe effectivement de la vaisselle, et d’un tas d’autres choses étranges, de technologies futuristes, de voyages dans le passé, etc. Car Winter découvre dans cette maison quelque chose qui dépasse largement son quotidien étriqué, ses soucis, son boulot déprimant : quelque chose qui s’ouvre sur un ailleurs à la fois connu et improbable, sur une autre vie, sur le temps… et ses paradoxes. Ses dangers aussi, car chez Wilson, le temps ressemble à une autoroute, un peu trop fréquentée.

L’une des questions récurrentes que le lecteur se pose devant un ouvrage de R. C. Wilson est de savoir si ce nouvel opus sera encore meilleur que le précédent. Avec ce texte, ancien (il date de 1991) mais finalement – et joliment - traduit, pas de doute, on est devant un bon roman «wilsonnien» qui décline, dans un style sobre, les thèmes favoris de l’auteur : l’irruption de l’inattendu dans le quotidien, l’écologie, la guerre, les paysages de l’intime face au surnaturel… Tom Winter s’engage dans une histoire étrange, et Wilson, avec lui, dans un récit kaléidoscopique : autour de son héros, on croise des voyageurs du temps, hommes du futur aux motivations variées, ainsi que des Américains du passé, confrontés à des situations improbables, et sommés de s’adapter. Une galerie de portraits saisissante, car l’auteur sait habilement endosser la défroque des uns et des autres, et placer son lecteur dans une «première personne» parfois déroutante. La rencontre du troisième type, l’exercice de l’empathie, R. C. Wilson la pratique avec adresse ; on retrouve dans ce roman ancien ce qui fait le charme des derniers ouvrages : cette attention toujours juste aux états d’âmes, aux sentiments, aux individus confrontés à l’inconcevable.

Aussi Winter ressemble-t-il un peu au voyageur imprudent de Barjavel, parti explorer une époque au risque du paradoxe. Un paradoxe que le lecteur guette de pieds fermes… et que l’auteur sait gentiment esquiver : Wilson n’est pas un fan de hard science ni d’une SF trop didactique : au cour de son roman, il y a des individus, et non des concepts ou des hypothèses physiques. Cela donne un récit très bien mené, avec talent et rythme, qui sait ne pas aller au-delà des frontières de la science, mais juste au-delà des frontières de l’humain. Une SF humaniste qui, plaisir supplémentaire, réfléchit avec un sens aigu de l’actualité (sans doute le roman a-t-il été revu par l’auteur ?) sur les futurs possibles et la folie des hommes. Un bon, un très bon Wilson… une fois de plus !

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 08/07/2013 )
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