Littérature
Policier & suspense de Chester Himes
Gallimard - Série noire 2003 / 10.50 €- 68.78 ffr. / 288 pages
ISBN : 2070303330
FORMAT : 13 x 19 cm
Harlem Shuffle
Le retour en Afrique, c’est d’abord une escroquerie montée par un faux révérend mais vrai bandit qui aurait dû permettre aux Noirs de Harlem de retourner vers leurs terres ancestrales. Mais le coup fourré tourne mal : l’argent qui devait servir à ce rapatriement bidon est volé puis perdu. S’ensuit alors une course-poursuite rocambolesque et parfois violente après une balle de coton censée contenir les fameux dollars. Les pistes sont nombreuses et les protagonistes se bousculent. Parmi eux, les fameux détectives Ed Cercueil et Fossoyeur Jones -sorte d’inspecteurs Harry blacks- mènent l’enquête à leur manière. Pour ces deux flics de Harlem, il n’y a pas de compromis possible dans cette jungle urbaine : le boulot doit être fait et tant pis s’il y a des dégâts. L’autre solution, pense Fossoyeur à un moment, serait de les laisser "se bouffer entre eux". L’immoralité et la cruauté chez Chester Himes laissent malgré tout souvent la place à la drôlerie et l’absurde. Tout comme dans La Reine des pommes, première aventure de Cercueil et Fossoyeur, la démesure et le grotesque côtoient sans cesse le drame et la misère.
Retour en Afrique c’est du cinéma blaxploitation avant l’heure, avec son cortège de petits escrocs et de gros caïds, de maquereaux et de flics corrompus. L’écriture sèche et directe de Himes se plaît une fois de plus à décrire avec jubilation la faune pittoresque de Harlem, le tableau dressé oscillant sans cesse entre le saugrenu et le naturalisme.
L’intrigue, parfois complexe, passe le plus souvent au second plan pour laisser la place à tous les acteurs : du clochard à la putain, tous ont un rôle à jouer, et tous sont malgré tout empreints d’une humanité inattendue. Et en rendant finalement vainqueurs les opprimés et les victimes, Himes dame le pion à ceux qui l’auraient accusé de cynisme outrancier et de fatalité quant aux revendications ethniques et aux luttes raciales (Cercueil et Fossoyeur sont souvent les plus injustes envers leurs frères de couleur, et les plus enclins à faire remonter les tensions). La démagogie et le manichéisme n’ont toutefois pas leur place dans Retour en Afrique. Tout l’art de Chester Himes réside dans cette capacité à faire douter le lecteur de l’intégrité morale de chaque protagoniste, pour finalement, dans les dernières pages, nous laisser en suspens avec un dénouement qui tient autant de la blague que du happy end improbable.
Près de quarante années après sa première parution, Retour en Afrique n’a pas perdu de son mordant et le lecteur devra savoir se positionner avec précaution pour ne pas tomber de ce toboggan aux virages imprévisibles.
Alexis Laballery
( Mis en ligne le 15/09/2003 )
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