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Littératureet   

Le Soleil des Scorta
de Laurent Gaudé
Actes Sud 2004 /  19 €- 124.45  ffr. / 248 pages
ISBN : 2-7427-5141-6
FORMAT : 11 x 22 cm

Prix Goncourt 2004.

Les Pouilles au cœur

Laurent Gaudé aime l'Italie du Sud et, lecture faite, on le croit volontiers lorsqu'il conclut son livre par cette adresse au lecteur : «Je voudrais qu'elles [ces lignes] ne disent que cela : combien me sont précieux ces instants vécus sous le soleil des Pouilles.» Car son Soleil des Scorta est avant tout une longue déclaration d'amour à cette terre et ses habitants, cachée sous les dehors du roman familial. Comme bien des déclarations d'amour, celle-ci n'échappe pas à deux constats. Celui de son indéniable sincérité. Celui, aussi, d'une certaine maladresse.

La sincérité d'abord. Elle imprègne chacune des presque deux cent cinquante pages du livre. Sens profond de l'amitié, de la famille et du labeur sont mis à l'honneur avec conviction. Laurent Gaudé, on le sent, partage les valeurs qu'il décrit, et goûte manifestement les atmosphères de ce Sud âpre et rocailleux. Ce qui donne quelques passages joliment évocateurs. Sur les plaisirs de la table par exemple, comme dans le final de la grande scène du banquet (p.132) : «A la fin du repas, ils avaient le ventre plein, les doigts sales, les chemises tâchées et le front en sueur mais ils étaient béats. C'est à regret qu'ils quittèrent le trabucco pour retrouver leur vie. Longtemps, l'odeur chaude et puissante du laurier grillé resta, pour eux, l'odeur du bonheur.» Ou encore dans la description de Montepuccio, théâtre des événements et lieu central de l'intrigue (p.39) : «Le village était toujours ce petit tas de maisons serrées les unes contre les autres. De longs escaliers sinueux descendaient vers la mer. Il y avait mille chemins possibles à travers le lacis des ruelles […] Le village contemplait la mer.»

Ecriture évocatrice, mais on le voit, un brin convenue aussi. Une faiblesse que le livre porte en lui dès son introduction, dès cette première partie où naît d'un viol (consenti ?) la lignée des Scorta Mascalzone. Des passages qui tiennent du cliché et donnent l'impression d'assister à l'ouverture d'un western spaghetti au cœur du Nouveau-Mexique : le décor aride en toile de fond («La chaleur du soleil semblait fondre la terre […] Tout était immobile.») ; l'arrivée du bandit dans le lointain («Sur un chemin de poussière, un âne avançait lentement») ; l'entrée dudit bandit dans le village («A cette heure de l'après-midi, le village était plongé dans la mort. Les rues étaient désertes. Les volets fermés. Les chiens même s'étaient volatilisés»). Jusqu'au curé qui se signe sur son passage avant de rentrer chez lui, avant que l'irréparable ne soit commis, en silence évidemment («Elle le dévisagea lentement, sans rien dire […]. Elle l'observait comme on fixe son destin. Elle lui appartenait déjà. Il n'y avait pas à lutter.»)

Auteur de théâtre prolifique, Laurent Gaudé semble n'avoir pas su se détacher suffisamment des procédés propres au genre qui, hélas, conviennent moins au roman. Théâtralité de la mise en scène, on l'a dit. Mais aussi une narration découpée comme en actes et qui par ses transitions brutales – ou son absence de transition – brusque parfois le lecteur. Enfin, l'impression, malgré une verve descriptive qui parvient sur la durée à faire oublier un début laborieux, d'assister plus à une succession de tableaux (l'enterrement de la Muette, le banquet, la fête de Sant'Elia) que de plonger dans une histoire en profondeur. Le choix fait par l'auteur d'entrecouper le récit principal des confessions de la vieille Carmela, figure centrale du livre, ne parvient pas à gommer cette impression de linéarité.

Sans doute ce projet ambitieux, raconter la destinée d'une famille à la fois flamboyante et maudite, dans l'Italie du Sud, traversant le vingtième siècle, eût-il mérité une œuvre plus fouillée, notamment dans les caractères et les interactions entre les personnages. Reste, on y revient, la déclaration d'amour. Elle est suffisamment passionnée pour faire pardonner les faiblesses du roman. Et quoiqu'on referme celui-ci sur un léger sentiment de frustration, on ne regrette pas les quelques heures passées en compagnie du bandit Rocco, de sa fille Carmela, de Giuseppe et Domenico et du sympathique Raffaele.

François Gandon
( Mis en ligne le 23/08/2004 )
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