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Littératureet   

Octave avait vingt ans
de Gaspard Koenig
Le Livre de Poche 2006 /  6 €- 39.3  ffr. / 216 pages
ISBN : 2-253-11592-4
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en août 2004 (Grasset).

Imaginer entre les lignes

Octave avait vingt ans, à peu près le même âge que celui qui a décidé de lui redonner vie. Octave est un personnage de la Recherche du temps perdu, que le lecteur rencontre à Balbec au temps des Jeunes filles en fleurs, un jeune homme riche et oisif, joueur, sportif et élégant, une "brute épaisse» dont on apprend, peu avant la fin de la Recherche, qu’il est devenu un écrivain dont les œuvres «ont amené dans l’art contemporain une révolution au moins égale à celle accomplie par les Ballets russes.» Octave est alors pour le Narrateur un sujet d’étonnement, de perplexité même : «je ne fus pas moins frappé de penser que les chefs-d’œuvre peut-être les plus extraordinaires de notre époque sont sortis non du Concours général, d’une éducation modèle, académique, à la Broglie, mais de la fréquentation des "pesages" et des grands bars.» (Albertine disparue) Octave est un bel exemple de ces transformations que le Temps opère, un personnage secondaire de la Recherche mais néanmoins symbolique des faux-semblants, des erreurs d’interprétation, des difficultés à comprendre un être entièrement, c’est-à-dire entièrement dans la psychologie proustienne, qui est une «psychologie dans le temps».

A ce titre, c’était une belle et ambiteuse idée que de s’emparer d’Octave et de lui inventer une vie, un destin, entre les deux époques que Proust évoque. C’est l’idée qu’a eue Gaspard Koenig pour ce premier roman qu’il publie à vingt-deux ans. On sent chez Koenig une fascination pour l’œuvre proustienne ; son écriture est totalement inféodée à celle de Proust, parfois pour le meilleur – une maîtrise du rythme et de la construction, une richesse de vocabulaire, un sens indéniable de la phrase –, parfois pour le pire – Koenig use et abuse des phrases commençant par «De sorte que», cultive la préciosité, sature son texte de références qui ne nous laissent plus le moindre doute sur sa bonne éducation, et se ferait teindre en blond pour un imparfait du subjonctif. Il n’empêche, après une trentaine de pages où l’on a craint de n’être condamné qu’au pire, le charme commence à agir et nous mène avec un plaisir de lecture certain jusqu’au bout du roman. Le talent d’écriture de Gaspard Koenig est une chose entendue, il lui reste maintenant à larguer les amarres, ce qu’il fera sûrement dans une prochaine livraison.

Sur le fond, maintenant, que découvrons-nous de cet Octave recomposé ? Les lecteurs de la Recherche seront sans doute déçus, car l’auteur ne s’attache précisément pas à imaginer ce qui a fait d’Octave un écrivain remarquable. Il le transpose dans notre époque mais on a constamment l’impression d’être au siècle dernier, sauf à de rares exceptions qui donnent alors une paradoxale sensation d’anachronisme. Il lui invente des histoires plus qu’une histoire, il met en scène le jeune homme de Balbec mais ne va guère plus loin. C’est un moment de sa vie qui est imaginé. Il faut dire que Koenig part d’une analyse qui nous paraît discutable, et qu’il expose en préambule de son roman : «Proust imagine qu’Octave n’ait pas tant changé. Sa nouvelle vocation ferait écho à sa manière de vivre, à cette élégance si particulière qui semble s’interdire la subtilité. […] Proust ne semble pas très convaincu par les talents littéraires du joueur dépensier de Balbec.» Il nous semble au contraire qu’à travers Octave, le Narrateur commence à pressentir ce dont il aura la révélation dans Le Temps retrouvé, à savoir que c’est en soi que l’écrivain doit trouver la matière de son œuvre, et non «dans cette fuite loin de notre propre vie que nous n’avons pas le courage de regarder, et qui s’appelle l’érudition».

Malentendu ? Dans le roman de Koenig, finalement, Octave n’est qu’un prétexte. Qu’il soit «sorti» de la Recherche n’a que peu d’importance. Il reste un premier livre écrit par un jeune homme de vingt-deux ans, et qui est à cet égard remarquable, au sens premier du terme.

Anne Bleuzen
( Mis en ligne le 27/01/2006 )
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