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Littératureet   

Le Gaucho insupportable
de Roberto Bolaño
Christian Bourgois 2004 /  15 €- 98.25  ffr. / 192 pages
ISBN : 2-267-01735-0
FORMAT : 12x20 cm

Un art poétique de l’adieu

Ultime ouvrage de l’écrivain chilien Roberto Bolaño, Le Gaucho insupportable constitue un étrange recueil mêlant contes et conférences. Le testament littéraire que Bolaño a laissé quelques jours avant de rentrer à l’hôpital, et de disparaître faute de greffe, plonge ainsi le lecteur dans une écriture mêlant fiction et critique littéraire. Et critique, cet enfant terrible des lettres latino-américaines l’est à loisir lorsqu’il ironise avec un humour mordant sur les auteurs glamour de la littérature hispanophone, et règle ses comptes avec les auteurs à succès dans sa dernière conférence, «Les mythes de Cthulhu ». Lui que la vie a confronté à l’équation «Littérature + maladie = maladie», aime à rappeler que «Kafka (…) comprit que les dés étaient jetés et que plus rien désormais ne le séparait de l’écriture, le jour où, pour la première fois, il cracha du sang» en expliquant que le fameux auteur comprenait que les livres (comme les voyages et le sexe) sont des chemins qui ne mènent nulle part, et qu'il faut cependant emprunter pour, comme l’a écrit Baudelaire, «Au fond de l’Inconnu (…) trouver du nouveau».

Chacun des protagonistes des contes fantastiques reprend d’ailleurs cette quête à sa charge. Jim, le poète nord-américain, triste, n’attend rien d'autre que de se faire brûler par un cracheur de feu dans les rues du DF de Mexico. Pepe, le flic souris, recherche le tueur mystérieux de ses congénères ; Alvaro Rousselot, écrivain argentin, part à Paris rencontrer le réalisateur français Morini, qui semble plagier ses romans à l’écran. La quête presque accomplie, et pourtant la plus tragique, est sans nul doute celle qui fait s’entrecroiser dans «Deux contes catholiques» les chemins d’un jeune homme féru de martyrs et d’un psychopathe qui vient de tuer un garçon et un moine dont il a revêtu l’habit pour fuir. Enfin, le conte qui donne son titre à l’ouvrage, «Le gaucho insupportable», met en scène un vieil avocat irréprochable quittant un Buenos Aires touché de plein fouet par la crise économique, pour retourner dans la pampa. Ce n’est pourtant pas un paradis perdu qui l’y attend, mais une univers de Polichinelle. Les lapins y ont remplacé le bétail et n’hésitent pas à attaquer les cavaliers. Ce monde curieux, parsemé d’allusions à l’univers borgèsien, montre l’Argentine comme un roman, «donc fausse ou au moins menteuse», et la pampa comme «un cimetière sans limites, fidèle copie de l’éternité».

Bolaño, qui se savait condamné, expose une dernière fois sa vision du monde et de la littérature dans de courts récits que sa propre expérience vient pénétrer, créant un univers étrange où le curieux devient le normal et où «la fièvre c’est la santé, le poison c’est la nourriture». Son écriture atteint une réelle profondeur et aboutit, avec une ironie subtile, à un art poétique, bouleversante façon de dire un amour forcené de la vie. Le Gaucho insupportable est l’adieu aux armes d’un auteur latino-américain désormais reconnu comme l’un des plus doués de sa génération.

Amélie Rigaud
( Mis en ligne le 15/09/2004 )
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