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La Maison de la mémoire
de Lucia Graves
Le Rocher - Anatolia 2004 /  20.90 €- 136.9  ffr. / 282 pages
ISBN : 2-268-05188-9
FORMAT : 14 x 22 cm

Traduction Béatrice Dunner

Le choix de la judéité

Printemps 1492, Gérone. Alba de Porta, jeune fille juive de seize ans, vit heureuse avec sa mère Regina dans la maison de ses ancêtres sise dans le quartier juif de la ville. Orpheline de père depuis sa prime enfance, elle est élevée par son grand-père, le vénérable Rabbin Ismaël de Porta. Cet homme est un grand kabbaliste, reconnu et respecté par tous pour sa profonde sagesse et sa descendance directe avec Nahmanide de Gérone, lui-même kabbaliste internationalement vénéré. Le Rabbin Ismaël prend en charge l’éducation de sa petite-fille : il lui apprend à lire et lui inculque les rudiments du mysticisme juif, et ce malgré sa condition de femme. La jeune fille mène donc une vie paisible, dans une ville où se côtoient et cohabitent dans une harmonie relative des gens de confessions religieuses diverses : les Chrétiens, les Juifs et les Conversos, ces Juifs nouvellement convertis au catholicisme sous la menace de la Sainte Inquisition et des nombreuses restrictions imposées à la communauté. Alba est d’ailleurs éprise de Vidal Rubèn, un Juif dont la famille compte des Conversos en son sein.

Mais, le 30 avril 1492, tombe brusquement une nouvelle qui va bouleverser la destinée de tous les Juifs séfarades : les monarques espagnols décrètent, par la voie d’un édit prenant vigueur à la fin du mois de juillet, l’expulsion définitive des Juifs des terres hispaniques. Ce décret brise la vie d’Alba et des siens et emporte avec lui tous les rêves de la jeune fille. En effet, celle-ci se voit contrainte de choisir entre sa responsabilité de membre d’une communauté juive, dont elle doit se porter garante des valeurs et des traditions, et son amour de femme pour Vidal, qui décide de rester à Gérone et de se convertir. Elle choisit le renoncement personnel au nom de son peuple et de la mémoire de son grand-père. C’est alors qu’un rabbin d’une ville voisine, Astruc, lui confie une mission de la plus haute importance : mémoriser mot à mot l’unique exemplaire d’un livre religieux, La Chaîne de Lys. Les huit semaines précédant le départ des Juifs séfarades vers les terres du Roussillon, Alba apprend inlassablement ce texte crucial pour la préservation du mysticisme traditionnel juif. Afin d’aider et de consolider sa mémorisation, elle utilise l’architecture de sa maison familiale : chaque pièce, chaque recoin, chaque meuble, chaque objet représente un mot, un paragraphe, un chapitre du livre sacré. C’est munie de ce bien précieux qu’elle partira vers l’inconnu et qu’elle affrontera les différentes épreuves que l’exil lui réservera.

La longue pérégrination d’Alba à travers le Sud de la France, l’Italie et, finalement, l’Empire ottoman, est reliée à ce livre religieux. Il symbolise un lien sacré qui la rattache à son amour d’enfance, à la maison de ses ancêtres, à son passé, et plus largement à sa judéité, à l’histoire des Juifs et au mysticisme kabbalistique. La Chaîne de Lys la guidera à travers le labyrinthe de la vie, de l’amour et de la mort et lui révélera un secret inattendu. Le lecteur lui-même est directement interpellé car le livre de Lucia Graves démontre avec force l’importance de la transmission de la mémoire : elle nous lie à nos racines et conditionne, dans une certaine mesure, les actes posés au cours d’une vie, ce que le mode de la narration met notamment en exergue de façon judicieuse. L’auteur propose même des bribes du texte conservé par Alba et nous permet ainsi d’appréhender avec plus de finesse et d’acuité la profondeur que peuvent revêtir les écrits anciens, quelle que soit la religion dont ils émanent. En plus de cette réflexion fondamentale, voire existentielle, Lucia Graves nous plonge dans le quotidien de Juifs pratiquants et respectueux des traditions, sous un arrière-fond tissé d’allusions historiques détaillées et pertinentes. Cette incursion au sein du judaïsme, et de l’histoire de l’Espagne de la fin du XVe siècle, est amenée dans un style léger et dégagé de toute explication relevant d’un didactisme qui pourrait l’alourdir. La maison de la mémoire est un livre précieux, empreint de poésie et ouvrant la voie à la spiritualité.

Samia Hammami
( Mis en ligne le 04/10/2004 )
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