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Martin et Pierre Chambiges - architectes des cathédrales flamboyantes
de Florian Meunier
Editions Picard 2015 /  52 €- 340.6  ffr. / 359 pages
ISBN :  978-2-7084-0975-0
FORMAT : 22,5 cm × 28,5 cm

Alain Erlande-Brandenburg (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur habilité de l'université de Paris I, Thierry Sarmant est conservateur en chef au Service historique de la Défense. Spécialiste de l'histoire de l'Etat, il a publié en dernier lieu une biographie de Louis XIV, Louis XIV homme et roi (Tallandier, 2012) et 1715 : la France et le monde (Perrin, 2014).


À la recherche des gothiques de la Renaissance

L’opinion commune associe volontiers l’art gothique et la construction des cathédrales au Moyen Age : avec la Renaissance, plus d’art gothique ; avec la Réforme, moins de cathédrales. Mais en associant histoire politique, histoire culturelle et histoire de l’art, en les faisant marcher d’un même pas, l’opinion commune fait fausse route. Le livre de Florian Meunier en apporte une démonstration éclatante.

Alors que Charles VIII, Louis XII et François Ier règnent sur la France et guerroient en Italie, le chantier séculaire de construction des cathédrales se poursuit – dans certaines villes, il se prolongera jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles. Alors qu’un art nouveau «à l’antique» arrive d’au-delà des Alpes, l’art flamboyant connaît une ultime floraison. Formes gothiques et formes renaissantes cohabitent pendant plusieurs décennies.

L’œuvre des Chambiges père et fils, Martin, mort en 1532, et Pierre, mort en 1544, illustre la vitalité de l’architecture flamboyante en plein XVIe siècle. Martin construit le transept de la cathédrale de Sens, celui de la cathédrale de Beauvais et, la façade de Troyes ; à Paris, il est possible de lui attribuer l’église Saint-Gervais et la nouvelle rose de la Sainte-Chapelle. Pierre Chambiges succède à son père à Beauvais, achève la tour Saint-Jacques à Paris ; il est l’auteur du transept de la cathédrale de Senlis ; il bâtit aussi dans le nouveau style les châteaux de Chantilly, de Saint-Germain-en-Laye et de La Muette. Le père et le fils ont agi également comme experts et comme maîtres d’œuvre travaillant d’après les plans d’autres architectes.

Le style des Chambiges, à la fois léger, savant, fastueux et raffiné, tire son originalité du recours systématique aux intersections et aux emboîtements de volumes complexes, traits servis par une remarquable qualité d’exécution. À l’extérieur de leurs cathédrales, les portails s’ornent d’une complexe résille de courbes et de contre-courbes, décor fastueux qui donne à rêver ; à l’intérieur, de sobres piles ondulées soutiennent les voûtes ; la pierre semble se transformer en un matériau d’une absolue souplesse. Ce style «chambigien» survit à ses créateurs : on le retrouve, jusque vers 1570, dans les églises du Beauvaisis, de Picardie et du Vexin.

À travers son étude érudite du parcours, des méthodes et de la production des Chambiges, à travers les magnifiques clichés qu’il a rassemblés, Florian Meunier montre que le flamboyant n’est pas une phase décadente du gothique, mais son accomplissement. Jamais la maîtrise technique des architectes et des tailleurs de pierre n’a été si parfaite, jamais leur imagination n’a eu davantage de délicatesse et de fantaisie.

Reste à éclairer le cœur du mystère : pourquoi l’art de la Renaissance italienne a-t-il fini par l’emporter ? La réponse est sans doute à chercher en dehors de l’architecture même, dans la fascination des élites pour l’Antiquité gréco-romaine, miroir et modèle de l’Europe, un modèle qu’elle allait entreprendre d’égaler et bientôt de surpasser.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 09/03/2016 )
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