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Les Avant-gardes artistiques - 1848-1920 - Une histoire transnationale
de Béatrice Joyeux-Prunel
Gallimard - Folio histoire 2016 /  9,64 €- 63.14  ffr. / 964 pages
ISBN : 978-2-07-034274-7
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Les Avant-gardes artistiques

L’essai de Béatrice Joyeux-Prunel, historienne de l’art à l'École Normale Supérieure (Paris), est autant imposant que déroutant dans son analyse des avant-gardes artistiques. Imposant par son ampleur : 700 pages de texte, 300 pages d'appendices : bibliographie, notes et index ; déroutant par l'optique considérée.

Ce livre se situe dans la ligne de la pensée officiellement. À cet égard, l'avant-propos d'une dizaine de pages affirme le rôle de la sociologie selon Bourdieu : affirmation du relativisme, réduction à la portion congrue du rôle des individus et des œuvres. Si Béatrice Joyeux-Prunel s'intéresse avant tout au rôle des galeristes, des collectionneurs, des mécènes, des publications spécialisées et des critiques d'art (et donc beaucoup moins aux artistes), cette conséquente histoire se veut transnationale. Non internationale ou anti-nationale.

Certes, on comprend bien le rôle des influences, des marchands, des réseaux, de la rivalité dans l’émergence de tous ces artistes mais ceux-ci sont coupés de leur époque pour en être regroupés dans un même panier sans trop de distinction. Le plus étrange dans cette synthèse, au premier abord, est qu’il n’y a pas un mot sur la musique (Ravel, Debussy et d'autres), sur le cinéma (les frères Lumière ou Méliès) et pas un mot non plus sur le rôle considérable de la photographie dans la peinture moderne. Rien. Comment peut-on parler de ce qui s'est passé dans les années 1848-1918, la «Modernité», sans les citer au moins une fois ? Surtout en 700 pages ! Et pourquoi s'arrêter en 1918 au dadaïsme alors que l'avant-garde russe qu'est le Constructivisme apparaît en même temps et peu après ? Parce qu’elle est russe ? Aucun mot sur la Révolution de 1917 par ailleurs.

Il y a d’autres omissions plus mineures comme l’oubli du Salon des Incohérents qui préfigurait ce que seraient les Modernes un peu plus tard. Dans les années 1880, eut lieu une académie du dérisoire. Jules Levy en 1882 crée une exposition de dessins pour ceux qui ne savent pas dessiner (Duchamp expose un porte-bouteilles en 1914). Paul Billot expose une toile noire intitulée Combat de nègres dans une cave pendant la nuit (monochrome de Yves Klein en 1949), etc. Bref, ce Salon des Incohérents n’est là que pour rire certes mais les avant-gardes reprendront la même «incohérence» pour la prendre très au sérieux. On aurait aimé aussi une histoire un peu moins officielle.

Le plus surprenant est ce que Béatrice Joyeux-Prunel appelle avant-garde, métaphore militaire, ceux qu'elle regroupe dans le même élan, les impressionnistes, les symbolistes, l’Art Nouveau mais aussi les Futuristes et le Dadaïsme… Peu de choses en revanche sur le Surréalisme. D’habitude, on considère comme avant-garde les artistes qui ont opéré une franche rupture avec le passé artistique : volonté de la table rase, abstractionnisme revendiqué, subjectivisme, engagement politique. Bref, l’avant-garde veut inscrire l’artiste en totale rupture en inscrivant de force la société dans la vie moderne (l’homme nouveau). Le futurisme par exemple prône la vitesse, la guerre, le mépris de la femme alors que l’Art nouveau célèbre la nature, le floral et la femme. Où est la ligne de démarcation ?

Jean Clair avait justement séparé les Modernes des avant-gardes en considérant que les premiers sont sceptiques, interrogent le passé ou le remettent en cause sans volonté de détruire alors que les secondes veulent rompre et faire tabula rasa et ce au même moment ou presque. D’où cette question légitime : comment regrouper comme avant-garde des mouvements aussi différents que l’impressionnisme ou l’Art Nouveau, le Futurisme ou le dadaïsme, dont les objectifs sont radicalement différents ?

Malgré cette somme considérable, on a l’impression qu’en se concentrant sur les salons, Béatrice Joyeux-Prunel a élagué le contexte (la ville nouvelle, la révolution industrielle), les autres arts (photographie, cinéma) et les inventions techniques de l’époque (rayons X, télégraphe, radio, etc.) qui ont eu un impact considérable dans le développement artistique, offrant deux façons radicales de l’envisager par la suite. Mystère…

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 25/04/2016 )
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