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L'Art des jésuites
de collectif
Éditions Mengès 2003 /  69 €- 451.95  ffr. / 318 pages
ISBN : 2-85620-433-3
FORMAT : 25x33 cm

L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II.

Convertir par la beauté

A une époque où l’Eglise catholique traversait l’une des plus graves crises de son histoire, un étudiant espagnol, ancien soldat, fonda à Montmartre, avec neuf compagnons, la Compagnie de Jésus, approuvée par le Saint-Siège en 1540. Ce nouvel ordre religieux fut le fer de lance de la reconquête d’une partie non négligeable de l’Europe face à la Réforme protestante et l’un des outils majeurs de l’évangélisation des mondes nouveaux : Amériques bien sûr, mais aussi Afrique et Asie, dans le sillage des expansions coloniales portugaise, espagnole et française des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Si la Contre-Réforme a pour fondement une reprise en main doctrinale, synthétisée par le concile de Trente, des ajustements disciplinaires et liturgiques, elle s’accompagne également d’une étonnante et très efficace «offensive artistique» dont le style baroque demeure l’expression spécifique. La beauté rapproche l’âme de Dieu. Le concept n’était pourtant pas nouveau. L’art constitue en effet depuis toujours un instrument pédagogique commode pour le peuple, qui comprend par l’image ce que les livres ne peuvent lui apprendre : c’est le principe des porches, sculptures, mosaïques et vitraux des cathédrales et églises du Moyen-Âge, résumés en image de l’Histoire sainte. Mais cet art touche aussi les «savants», qui y sont sensibles d’une autre manière. Il unit ainsi tous les croyants. Nul autre ordre religieux davantage que celui des jésuites n’allait utiliser l’art avec autant d’efficacité, nous léguant quantité de chef-d’œuvres dans le domaine de l’architecture, de la musique, de la littérature, de la peinture et de la sculpture, «pour la plus grande gloire de Dieu !»

Ouvrage dirigé par le Père Giovanni Sale, professeur d’histoire de l’Eglise à l’université grégorienne pontificale de Rome, L’Art des Jésuites est le fruit d’une collaboration internationale puisque l’on y retrouve des universitaires américains, autrichiens, italiens, argentins et français. Après une introduction qui retrace les débuts de l’Ordre et son extraordinaire expansion depuis les royaumes catholiques et le Saint-Empire jusqu’aux confins d’un monde alors en voie d’extension indéfinie : Brésil, Canada, Japon, Chine, Philippines, Angola, Giovanni Sale oppose Paupérisme architectural et architecture jésuite. Car c’est d’abord, et surtout, dans ce domaine que réside la «révolution jésuite», dont l’église du Gesù à Rome donne avec éclat le signal. Modèle de toutes les églises jésuites (d’ailleurs récemment restaurée pour le Jubilé de l’an 2000), ce coup d’essai est un coup de maître. Ne laissant rien au hasard, la Compagnie édicta ensuite de strictes règles de construction, appliquées dans le monde entier. Les églises (avec, par exemple, une prédilection pour la nef unique) mais aussi les collèges (centres névralgiques de la reconquête ou de la conquête des âmes) sont désormais reconnaissables entre tous ; et les jésuites n’hésitent pas à faire appel aux plus grands artistes du temps ; tel le Bernin, auteur de la coupole de leur église Saint-André du Quirinal.

Cet art se diffuse rapidement dans toute l’Europe. Le livre présente de très belles photographies commentées : collège Saints-Pierre-et-Paul de Cracovie, église Saint-Isidore de Madrid, cour de l’université d’Evora (Portugal), église Saint-Paul-Saint-Louis de Paris ou encore Michaelskirche de Munich. Les jésuites contribuent aussi largement au renouveau de la peinture italienne du milieu du XVIe au milieu du XVIIIe siècles, comme le rappelle Gauvin A. Bailey (on ne citera que le cycle pictural du Gesù parmi maints autres exemples). Parallèlement, franchissant les océans, ils développent partout des synthèses originales entre les influences européennes et indigènes, dont la plus connue est la civilisation développée dans les réductions du Paraguay. Le Chili, le Pérou, l’Equateur, le Brésil, l’Argentine, la Bolivie se couvrent d’églises baroques dans un mélange de couleurs et de cultures, que nous restituent les magnifiques clichés de la deuxième partie de cet ouvrage (voir notamment le somptueux retable de l’église des jésuites de Quito).

Si les fondations jésuites en Amérique du Nord (Californie, Québec) ne sont guère évoquées ici (il est vrai qu’elles ont laissé moins de traces), une place de choix est en revanche réservée à l’art jésuite d’Extrême-Orient, de Goa à Macao, en passant par l’observatoire qu’ils construisirent à Pékin, les Philippines et ces étonnantes miniatures chrétiennes du Japon. Un dernier développement tout à fait bienvenu est consacré en fin d’ouvrage à la musique des jésuites, tout comme il a été question plus haut de leur littérature, où les œuvres d’Ignace de Loyola et de François-Xavier tiennent la vedette aux côtés d’autres moins connues, mais ô combien importantes, comme celles d’Alexandre de Rhodes, jésuite avignonnais qui inventa la transcription de la langue vietnamienne en caractères latins toujours utilisée aujourd’hui.

L’Art des Jésuites présente un condensé tout à fait convaincant, à l’iconographie très soignée, de deux siècles de foisonnement artistique au service d’une foi alors attaquée de l’intérieur (par la Réforme), tout en étant confrontée à la perte d’anciens repères (du fait du renouveau des sciences) et au choc de la découverte de civilisations «païennes» inconnues (dans le cadre des découvertes). Les réponses originales que les jésuites apportèrent à une situation de crise («convertir par la beauté» n’en est bien sûr qu’un aspect) démontrent les ressources insoupçonnées du christianisme et sont observées avec intérêt, de nos jours encore, par bien des catholiques, en quête eux aussi d’un renouveau de l’Eglise en leur temps.

Jean-Noël Grandhomme
( Mis en ligne le 22/03/2004 )
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