L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Nous voilà
de Jean-Marie Laclavetine
Gallimard - Folio 2010 /  6,60 €- 43.23  ffr. / 391 pages
ISBN : 978-2-07-043798-6
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en février 2009 (Gallimard - Blanche)

Elle est jolie, la Révolution…

Le monde des lettres, en France, aujourd'hui : mornes plaines occupées par des canons tirant à blanc, par des feus follets à la brillance éphémère, des coups d'éclat rejoignant tôt la nuit, et quelques êtres assoiffés, dans l'attente d'une gorgée qui les raniment...

Heureusement, sur ces terres dévastées fleurissent quelques perles. Nous voilà est de ces joyaux qui, tout en faisant le constat de ce naufrage (qu'il soit littéraire mais aussi politique), offre aussi de quoi nous faire chaud aux lettres, un roman, un vrai, maîtrisé, racé, d'une écriture aussi limpide qu'appliquée, intelligent, drôle et incisif à souhaits. Tout espoir n'est pas perdu...

«Ces gens savaient qui ils étaient. Ils exhortaient le prolétariat international à l'insurrection, mais ils n'ignoraient pas que leur place à eux était sur les toits du Quartier latin à boire du château-latour. C'était écrit, que voulez-vous, ils étaient élus. Ils finiraient un jour ministres de droite, ambassadeurs, ministres du centre, voire ministres de gauche, bref, ministres, directeurs de journaux, chefs d'entreprises, producteurs, hauts fonctionnaires, officiers dans la légion des petits déshonneurs, ils feraient des pieds et des mains pour envoyer leurs enfants dans les grandes écoles qui les avaient formés et sur lesquelles ils avaient craché sans conséquence, et ils pourraient de surcroît tirer durant toute leur vie une petite rente de la silicose des mineurs dont ils avaient eu la bonté, à vingt ans, de dénoncer les honteux ravages».

Nous sommes dans les premières heures des années 70, le Larzac entre dans l'Histoire, avec son armée de chevelus biberonnés de politique, bobos avant l'heure, plus trotskos qu'éco-responsables. Jean-Marie Laclavetine, qui est de la cohorte, nous en dresse un portrait glaçant.

Il y a du Péguy dans ces pages où l'auteur semble prêter ses traits à Paul, révolutionnaire sincère qui ne sacrifiera jamais sa mystique à la politique. Gardien de barrière, poète invétéré, écrivain imminent aux succès modestes, il sera des manifs, des squats et des revendications, avant de rejoindre, devenu plus adulte, son jardin, qu'il cultivera en silence. Une femme, Lena, électron libre dansant sur l'onde du féminisme ; un fils, Samuel, Sam, qui, en gentille réaction au nihilisme de la génération de son père, deviendra archéologue, conservateur du Passé.

Face à Paul, ni plus ni moins que Pétain, dont la dépouille, enlevée à l'île d'Yeu par une poignée de cagoulards afin de lui donner sépulture plus digne de son rang, finit perdue au coeur d'une manifestation... et récupérée par une clique de jeunes rouges. Horreurs ! Entre Paris et le Larzac, anar' et fachos jouent au chat et à la souris. L'idée est superbe. Pétain comme boule de flipper entre deux groupes subissant plus l'histoire qu'ils ne la firent.

Et le temps passe, que l'auteur brosse à grands traits, mais des traits fins, jusqu'à nos jours, dans une sorte de crescendo dans la bêtise, une pente glissante et tragique. Pas de passéisme ici, ni même de cynisme. Jean-Marie Laclavetine nous livre plutôt un bilan avant inventaire. Les fiers soldats de 68 ne vont pas aimer car, on le sait... il n'y a que la vérité qui fâche...

Thomas Roman
( Mis en ligne le 17/11/2010 )
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