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Pocheset Littérature  

L'Obscure histoire de la cousine Montsé
de Juan Marsé
Seuil - Points 2012 /  7,60 €- 49.78  ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-7578-2806-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Jean-Marie Saint-Lu (Traducteur)

Chronique d'une fin annoncée

. ''bref, ma chère cousine, votre nombreuses parentèle, la claramuntienne assemblée de fidèles splendidement ramifiée sur le vieux tronc de l'argent et vivifiée par l'opportune greffe financière de la chatoune parfumée de telle ou telle belle-fille, ou d'attributs masculins très estimés dans ce milieu, avec bénédiction papale télégraphique et voeux fervents de bonheur''...

Vieille bourgeoisie barcelonaise, passée au microscope d'un génie littéraire. Les affres du franquisme, les pesanteurs du catalanisme, les beautés aussi de cette culture autre, sise entre l'Espagne et le Roussillon. Et une famille pour observatoire, les Claramunt, respectables comme on doit l'être dans un pays sous dictature militaire et surveillance religieuse. Un CQFD social démontré par l'ombre, l'exception qui confirme la règle, la trajectoire dramatique d'une des filles Claramunt, la Montsé éponyme.

Une jeune patronnesse, dévouée à la charité mais que sa naïveté et son dévouement font tomber dans une sorte d'abîme social. Partie assister en prison le jeune Manuel, ''un garçon beau dans son indigence, distant et félin, étrangement mûr pour son âge, enveloppé dans un effluve d'ennui et de perspicacité palpable'', elle s'en amourache. Une liaison impossible, dangereuse, honnie par le père et la smala entière. Montsé se perd, loin des schémas - sociaux, pécuniaires, religieux - autorisés par sa caste. C'est cette fin annoncée que nous rapporte Marsé, sous la forme d'une enquête menée par le cousin de la victime. Ce dernier est un électron libre dans la famille, un ''libre-penseur'' qui partira en France démarrer une carrière dans le cinéma (c'est tout dire !). Ses souvenirs mêlés aux confessions sous couette avec sa cousine et amante Nuria, soeur de Montsé, assemblent le puzzle.

On remarquera que la relation à la fois adultérine (Nuria est mariée à un ponte de la théologie bien pensante, vieil ami des Claramunt, déjà là au moment du drame) et incestueuse (ils sont cousins) du narrateur ne choque personne, est tolérée tout du moins, contrairement à celle de Montsé. Il vaut mieux être mâle que femme sous le soleil de Franco, et rester dans les limites de son microcosme social.

Une fin annoncée donc, une tragédie ferme, recomposée dans un lumineux kaléidoscope narratif, et d'une lumière tout à fait phénoménale. La couleur vient de Marsé, une plume sure, classique, poétique quand il le faut, lapidaire si nécessaire, implicite souvent car le lecteur, Marsé le sait, est un être intelligent. Les psychés sont façonnées dans les détails du quotidien, les gestes et les paroles, les regards, les attitudes. Marsé excelle dans ses peintures, touchantes et vraies. Montsé brille ici comme la Teresa d'un autre de ses célèbres romans (Ultimas tardes con Teresa - Teresa l'après-midi), ou le jeune Ringo de Calligraphie des rêves, dernier roman de l'auteur, tout juste traduit chez nous (Christian Bourgois).

Un de nos grands auteurs européens contemporains. A connaître, à lire.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 13/04/2012 )
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