L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Une enfance de Jésus
de John Maxwell Coetzee
Seuil 2014 /  7,6 €- 49.78  ffr. / 365 pages
ISBN : 978-2-7578-4527-1
FORMAT : 10,8 cm × 17,6 cm

Première publication française en août 2013 (Seuil)

Catherine Lauga du Plessis (Traducteur)


Etrange trinité

L'histoire de David et Simon, un enfant, un homme entre deux âges, deux voyageurs, partis d'un pays A vers un pays B à bord d'un bateau où ils se sont rencontrés. David, 5 ans, est orphelin ; Simon le prend sous son aile et lui servira de père. Il doit l'aider à retrouver sa maman dont Simon possède pour seule relique une lettre, finalement perdue elle aussi.

Ils arrivent dans un pays que J.M. Coetzee décrit sans détails, le port de Novilla, terre d'accueil où ils sont d'abord pris en charge par des services sociaux qui pourraient être meilleurs, mais qui ne sont pas pire qu'ailleurs non plus. Simon trouve ensuite un travail sur les docks, de quoi nourrir et héberger David. Simon aime David de la fougue d'un véritable père ; il veut lui trouver une mère et ce sera Inès, joueuse de tennis s'ennuyant dans un club avec ses frères. Étrange trinité formée par Inès, David et Simon.

Simon veut surtout éduquer David, aiguiser son sens critique. "Nous sommes comme des idées. Les idées ne meurent jamais. Tu apprendras ça à l'école". Une enfance de Jésus, fable philosophique, devient alors roman d'apprentissage. Comme l'aviateur perdu et son petit prince, David et Simon évoluent dans un monde finalement vide, dans lequel ils doivent inscrire leur propre poésie, forger leurs individualités, renaître à eux-mêmes. D'où cette fin ouverte, une route fonçant sur l'horizon, et notre étrange trinité toujours. L'enfant, comme le suggère le titre, sera-t-il prophète ? "C'est un enfant exceptionnel, avec un avenir exceptionnel".

Un récit en apparence très simple ; l'auteur, par une superbe économie de mots, installe un monde d'emblée familier, dur mais accueillant, dans lequel une histoire elle aussi dure (la solitude, l'apatridie, l'orphelinat) se déploie en de très jolis instants. Comme une apesanteur littéraire, une légèreté défiant le vide et sa voracité. Coetzee installe une tension permanente, distille une peur, une panique sourdes, qu'il tient à distance par la simple culture d'une foi. Un sentiment qui dépasse l'amour, le confort, indiquant juste une direction, une ancre, la balise nécessaire à chacun des protagonistes qui ne seraient, sinon, que ces atomes ébaubis dans un maelström indéchiffrable.

Splendide et absolument convainquant.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/09/2014 )
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