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Pocheset Littérature  

Profession du père
de Sorj Chalandon
Le Livre de Poche 2016 /  7,60 €- 49.78  ffr. / 288 pages
ISBN : 978-2-253-06625-5
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Première publication en août 2015 (Grasset)

Mon père, ce héros…

Dans La Légende de nos pères, le thème central était déjà celui de l'affabulation du père ; Sorj Chalendon reprend ce thème dans Profession du père, mais de façon différente. Le narrateur, adulte, se souvient le 23 avril 2011, lors de l'incinération de son père, de son enfance.

Une enfance des années 1960, au siècle précédent, vécue dans un enfermement absolu : le père, la mère et l'enfant, lui, le narrateur, dont on ignorera toujours le prénom. 23 avril 1961 : le putsch des généraux, la guerre d'Algérie, le retour des pieds-noirs, l'ombre du Général de Gaulle, les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Le père, qui se déclare résistant de l'OAS, entraîne son fils à devenir comme lui, agent secret, et promet de lui présenter son parrain américain, manchot et compagnon de lutte durant les années de résistance aux nazis.

L'enfant narre au premier degré les aventures de son père, son destin de looser magnifique dont nul ne reconnaît les qualités éminentes. Il admire ce père aux mille facettes, compagnon de la chanson, résistant de la première heure... et reste aveugle et sourd au scepticisme de l'entourage, des camarades d'école, des moniteurs de colonie de vacances...

Le père fait vivre sa micro-famille dans un enfer de violence, moyen d'assurer son pouvoir : le fils fasciné et terrifié, la mère, jolie, dont on imagine longtemps qu'elle est aussi victime que le fils ; mais peu à peu s'impose une réalité plus complexe.

Avec un ton juste, Sorj Chalandon fait parler l'enfant et propose une lecture de son univers en demi-teintes, mi-douces, mi-amères ; le lecteur ressent une terreur palpable et d'autant plus forte qu'elle est insidieuse, acceptée par la mère et le fils, incapables de s'opposer à leur tyran et qui ne se reconnaitraient sans doute pas dans la phrase célèbre qui ouvre Anna Karenine : "Toutes les familles heureuses se ressemblent ; mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon". Toutefois, ce malheur quotidien n'est pas exempt de temps forts, d'enthousiasme pour les aventures d'espionnage vécues avec le père, de complicité avec des camarades.

Un père, fou tragique, qui a tenté un jour de s'expliquer sur un magnétophone hors d'âge : «J'aurai des révélations à te dire, des révélations, sur toi, sur moi et ta mère. (...) Je veux juste que tu saches qui je suis vraiment» ; un enregistrement qui restera à jamais une énigme pour son fils...

Un livre fort.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 26/10/2016 )
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