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Pocheset Littérature  

Les Soeurs Rondoli et autres nouvelles
de Guy de Maupassant
Folio - Classique 2002 /  3.50 €- 22.93  ffr. / 256 pages
ISBN : 2-07-040943-0

Édition de Marie-Claire Bancquart

Le maître de la nouvelle

André Gide, dans une jolie formule, désignait l’art de Maupassant comme «une littérature de commis-voyageur». Il est vrai qu’on emprunte souvent les chemins de fer chez Maupassant : beaucoup de rencontres, notamment amoureuses, s’y font. Il est vrai aussi que le naturalisme du Normand est incommensurable avec celui de Zola : pas de plan préparatoire, pas de documentation démesurée chez le maître de la nouvelle, mais plutôt le coup d’œil, le sens de la formule, tout cela au service de la vivacité du récit.

Le recueil des Soeurs Rondoli, écrit au milieu des années 1880, est assez représentatif de la diversité des centres d’intérêts de l’écrivain. Tandis que «Le Petit fût» évoque la cruauté des moeurs paysannes, «Décoré !» s’intéresse, sur le mode satirique, à ceux qui n’ont en tête que la course aux décorations. Mais ces nouvelles sont marginales par rapport à celles, d’un style parfois très leste, portant sur le plaisir et les tourments érotiques. La femme y est décrite volontiers comme insatiable, gouffre de plaisir. La veine égrillarde se teinte rapidement d’accents misogynes bien conformes à l’esthétique de la fin de siècle, tant celle de la littérature que d’une philosophie dominée alors par le pessimisme de Schopenhauer.

Les critiques insistent aujourd’hui, à propos de Maupassant, sur un matérialisme concomitant avec une ruine de l’idéalisme, les années 1870 constituant ici une date charnière dans ce changement de paradigme. Et Marie-Claire Bancquart d’écrire dans une excellente préface que «peu d’écrivains offrent, sous une forme qui paraît aussi classiquement travaillée, une vision du monde aussi dénuée de références à une tradition humaniste et religieuse, aussi privée de toute «illusion» consolante.» Car cette anthropologie en phase avec les découvertes scientifiques du temps, notamment en matière de psychologie, ne se donne jamais à lire de manière massive, frontale. Tamisée par l’art du récit comme par le pittoresque de l’histoire, elle affleure dans des nouvelles comme «Lui ?» qui annoncent, à quelques années d’intervalle, des chefs d’oeuvre comme «Le Horla».

On n'a pas attendu Lolita ou Rose Bonbon pour mettre la pédophilie à l’honneur en littérature. Sans craindre les foudres des censeurs, on se délectera de la lecture de «Châli», où le narrateur prend pour femme une esclave de... huit ans. Evoquant des personnages appartenant à d’autres recueils, une note nous rassure d’ailleurs en nous rappelant bien à propos que si «Laurine et la petite Roque ont une douzaine d’années», «on peut supposer un égal développement, à huit ans, chez l’orientale Châli.»... Quoi qu’il en soit, cette nouvelle finale n’a d’égale que la nouvelle inaugurale, «Les Soeurs Rondoli» où Maupassant, très discrètement et très malicieusement, met en abyme l’art même du nouvelliste.

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 31/12/2002 )
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