Poches
Littérature de Philip Roth
Gallimard - Folio 2004 / 7.30 €- 47.82 ffr. / 496 pages
ISBN : 2-07-031593-2
FORMAT : 11x18 cm
Roman paru une première fois en France en septembre 2002 (Gallimard).
USA lave plus blanc
Accusé de racisme, puis de relations sexuelles «incorrectes», un septuagénaire professeur de littérature préfère démissionner et se ranger du monde. Cet épisode, qui prend la dimension d’un véritable drame - l’épouse du professeur en meurt - , se déroule à l’époque de «l’Affaire Lewinsky», dans une petite université de l’Amérique profonde. A l’instar de l’occupant de la Maison Blanche, l’universitaire trébuche en fin d’un magnifique parcours, sur deux mots idiots et quelques galipettes.
Dans ce livre, dernier acte de sa trilogie américaine, Philip Roth aborde la question du sexe et de la vitalité par l’angle de l’inaccomplissement partiel de la révolution sexuelle. Mais, se demande le lecteur, en quoi le chant du cygne sexuel d’un vieillard gavé de viagra et qui redécouvre, tel un adolescent, le continent du désir, attente-t-il à l’ordre social ? Et, a-t-on envie d’ajouter, les parties de jambe en l’air d’un homme de 71 ans et d’une femme de 34 ans sont-elle vraiment matière à un roman ? Pour Philip Roth, dans l’Amérique de la contre-révolution morale et de l’hypocrisie de l’ «affirmative action», est renouvelé un des actes fondamentaux de l’anthropologie : le sacrifice. L’ordre a besoin d’immoler l’agneau sur l’autel de sa pérennité ; la société des hommes, leurs systèmes et idéologies se nourrissent de chair réelle. Ce constat-là n’est pas usé, contrairement à celui sur les limites de la révolution soixante-huitarde.
«En le regardant, j’avais l’impression d’assister à un accident de la route», commente un ami du professeur, fasciné par la faille qu’il découvre chez ce vieux mandarin déchu. Faille ou … tache, celle originelle, qui a fatalement un lien avec les pulsions. Car Philip Roth rappelle par ce livre la force du sexe, la primauté de cette matière - «peu reluisante» - dont nous sommes faits. Force qui sécrète également la tentative de la «civiliser», de la dominer, comme on le voit à travers le personnage du professeur de littérature française, inquisiteur de l’ordre nouveau du différentialisme et de la fausse tolérance. Le portrait de la maîtresse du professeur, Faunia, est peut-être plus marquant encore, en sonnant comme un violent manifeste contre la tyrannie du political correctness.
Roth est comparé parfois à Dos Passos, dans le sens où chacun de ces deux auteurs a peint un âge de l’Amérique, cristallisé dans le moment où le mythe est descendu par la réalité. Plus que l’auteur de USA, on songe à Miller et à Selby, qui comme Roth, créent un personnage d’une violence magistrale, à l’image d’un continent dont on ne cessera de rappeler la sauvagerie. Peut-être Roth est-il aussi moins véhément que Miller et moins nihiliste que Selby ? Reste que son livre est, plus qu’anticonformiste, vraiment drôle ; comment ne pas repenser à ce vieux prof qui jette aux orties, avec un bonheur non dissimulé, les préceptes d’une sage sortie de vie, grâce à l’alchimie du viagra…
Vianney Delourme
( Mis en ligne le 23/06/2004 )
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