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Pocheset Littérature  

La Contrevie
de Philip Roth
Gallimard - Folio 2006 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 451 pages
ISBN : 2-07-033751-0
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en France en septembre 2004 (Gallimard - Du Monde entier).

Traduction de Josée Kamoun.


Du concentré rothien

Le fan trouvera matière roborative à son plaisir littéraire : car ici, sur plus de 400 pages, défilent tous les spectres de la création rothienne : l'obsession de la judéité, celle non moindre du sexe, la hantise, à proprement dire, des figures tutélaires, le père en tête, une passion manifeste et rongeante pour l'écriture. Portnoy II en somme.

D'une construction complexe, dont les fondations n'apparaîtront qu'en fin de course, La Contrevie brode les thèmes ensemble avec maestria. Roth s'amuse à guider et perdre son lecteur, modulant sur le scénario, jouant avec les personnages qui tous, plus ou moins, renvoient à lui-même, comme une galerie des glaces rieuse et espiègle, délicieusement intelligente, où le lecteur, tout en avançant droit, aura l'impression aussi de s'égarer, zigzaguant sous la férule du fieffé Deus ex machina : la plume. Comme un recte méandre où l'on se perd sans déroute.

Le roman campe et oppose deux frères : Nathan Zuckerman demeure ici cet écrivain juif reconnu, à l'arrogante et suffisante sagesse. Son frère, Henry, dentiste du New Jersey, archétype du juif américain installé et sans reproche, meurt dès les premières pages, lâché par un coeur peu prompt à supporter ses aventures extraconjugales. Plus loin, retour en arrière et mise en route de la rétrofiction littéraire : Henry ne meurt plus mais survit grâce à une opération chirurgicale. Mais la transformation du coeur fragilise l'âme et le catapulte un peu malgré lui dans la folie religieuse et patriotique de la Terre Promise, où Nathan le visite : «Voilà un type qui subit une intervention terrible pour recouvrer sa puissance virile, et qui se retrouve juif à part entière ; voilà un type qui s'est fait charcuter la poitrine, sept heures d'opération, branché à une machine qui respire à sa place, qui lui pompe le sang, les canaux vitaux de son coeur sont remplacés par les veines de sa jambe, et résultat, il se réveille en Israël. C'est trop fort pour moi.» (p.169) Et la plume s'emballe à nouveau, Roth changeant les pions de place encore, l'écrivain Zuckerman étant ici aussi un personnage de roman... Sur 400 pages, plus osée qu'une opération à coeur ouvert, de la «chirurgie littéraire expérimentale» (p.436). On en redemande !

Outre les acrobaties littéraires, les entourloupes à la réalité, où tout vrai romancier doit passer maître - car la contrevie, outre celles que s'invente chacun des personnages, n'est-ce pas, tout simplement, la littérature?... -, Roth interroge sans relâche les contours flous de l'identité juive moderne. Juge et partie, capable d'un recul sur soi lui permettant une saisissante vue panoramique, le romancier confronte ici tous les problèmes et les a priori : religieux, politiques, culturels, historiques, intellectuels... sexuels même. Des ghettos médievaux aux sables de Judée, des divans new-yorkais à l'antisémite bienséance anglaise, du monopole compassionnel au délire de persécution, laïque, libéral, hassidique ou kibboutzien, le juif est ici cette étrange entité arlequinisée, décidément jamais tranquille. Bref, un époustouflant résumé de nos délires modernes...

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 16/06/2006 )
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