L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

La Pastorale Américaine
de Philip Roth
Gallimard - Folio 2001 /  6.26 €- 41  ffr. / 580 pages
ISBN : 2-07-041736-0

Souvenirs...

Paul Valéry insistait sur l'absence de toute autorité d'un auteur sur son oeuvre une fois celle-ci achevée. Le lecteur, en effet, se l'approprie, la phagocyte, la fait sienne et y voit ce qu'il veut, comme à la lunette d'un kaléidoscope. Tout est question de jeux de lumières, de personnalité, d'air du temps... Ceci est d'autant plus vrai dans le cas de la Pastorale Américaine de Philip Roth que ce romancier a construit l'ouvrage comme un mille-feuilles dont il serait bien vain de compter tous les niveaux possibles de lecture.

Qu'est-ce, en effet, que la Pastorale Américaine ? L'histoire d'une famille juive new-yorkaise et de sa patiente intégration ? L'histoire d'une nation, elle aussi kaléidoscopique, patchwork de nationalités dont les contacts et frictions sont riches en feux d'artifices ? L'histoire d'un homme et de sa déchéance ? D'un pays en déclin ? C'est en fait un peu tout cela; le roman est d'une richesse inépuisable.

Philip Roth, auteur de nombreux best-sellers tous plus ou moins centrés sur sa vie et la communauté juive américaine, propose ici l'histoire d'un homme, Seymour Levov, dit "Le Suédois" tant sa physionomie et sa réussite sociale en font pour la communauté locale l'exemple indépassable de l'intégration. Chef d'une entreprise prospère héritée de son père, vedette au temps du Collège de ses succès sportifs et de sa physionomie aryenne, disons WASP, ancien Marine et chef de famille comblé, au bras d'une ancienne reine de beauté catholique, le Suédois est un dieu sur terre, admiré de tous, au parcours si irréprochable qu'il en devient agaçant.

Mais la réalité rattrape au fil des pages cette perfection feinte, et écaille la beauté lisse et glacée d'une vie en fait tragique. La Pastorale Américaine est l'histoire d'un paradis perdu, d'un âge d'or révolu, le récit d'une déchéance, celle de l'homme, en des temps où sa nation s'épuise elle aussi, entre Vietnam, assassinat d'un président charismatique, et Watergate.

Cette décadence vient par le scandale monstrueux provoqué par le dernier chaînon de cette famille juive devenue, patiemment, exemplairement américaine, la fille du Suédois, la subversive Merry, et son acte innommable...

Dès lors, le roman est une valse de souvenirs, le choc du bon vieux temps et d'un présent peu amène, destructeur. Le Suédois ne vit plus qu'en se raccrochant à un passé que tous autour de lui veulent oublier, sa femme en recourant à la chirurgie esthétique et l'adultère, son frère en s'exilant en Floride compter le nombre de ses ex-femmes, et sa fille en détruisant ce monde et en se ralliant finalement à une secte indienne.

On ne peut qu'avoir de la sympathie pour le Suédois, victime spectatrice d'un monde à la dérive, toujours passif, muet, entre résignation et désarroi. Philip Roth participe à émouvoir son lecteur, en le plongeant dans des vies qui ne sont pas les siennes mais où il se confond, allant même, peut-être, jusqu'à se poser des questions sur la sienne propre, son histoire. Le jeu qui règle le livre, et qui consiste à mêler jusqu'à l'inextricable réalité et fictions (le pluriel importe!) est fascinant et transporte le lecteur, véritablement, au plus profond des phrases et des mots.

Cette saga un peu grise est finalement porteuse d'un enseignement qui semble guider l'oeuvre de Roth. L'un de ses derniers romans, Patrimoine, histoire bouleversante d'un homme et de son père à l'agonie, largement autobiographique, s'achève sur un devoir humain: celui de "ne rien oublier"... C'est ce qui fait que le Suédois est peut être le personnage de cette tragédie qui en ressort le plus indemne, car puissamment enraciné à son passé, ses souvenirs, ce qu'il reste de lui et qui l'aide encore à vivre...

Thomas Roman
( Mis en ligne le 28/06/2001 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)