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Les parents lâcheurs
de François Taillandier
Rocher - Colère 2001 /  6.11 €- 40.02  ffr. / 88 pages
ISBN : 2-268-03896-3

Des mots sur les maux

"Nous avons laissé tomber nos enfants. Par inconscience, par lâcheté, par soumission, par égoïsme. Depuis dix ans, vingt ans, nous les avons balancés sans remords excessifs dans le mégamixer de l’époque, lequel d’ailleurs s’occupe non seulement d’eux mais aussi de tout et de tous. (…). Les plus inconscients ne s’en aperçoivent pas ou trouvent cela très bien. D’autres s’inquiètent, mais se soumettent…"

Tel est le thème du deuxième opus de la collection "Colère" lancée par les Editions du Rocher en janvier dernier. François Taillandier, écrivain et père divorcé de trois enfants y dénonce la démission parentale orchestrée par un tout surpuissant face auquel nous n’avons qu’à bien nous tenir, c’est à dire obéir. A ce totalitarisme ambiant, un seul échappatoire : la lâcheté d’une société toute entière qui préfère suivre sans renâcler les jougs qu’on lui impose. En d’autres termes, la politique de l’autruche à laquelle l’auteur affirme haut et fort ne pas déroger, accréditant par là même sa démonstration.

Que l’on se rassure néanmoins, cette virulente invective ne sacrifie ni au discours réactionnaire, ni au raisonnement passéiste. La critique de Taillandier fonctionne sur le mode de l’observation et de l’exemple. Pimentant ses remarques d’une ironie aussi acerbe que rafraîchissante, il distille des vérités assassines, des aphorismes glaçants. Et de cet exercice en apparence anodin - mettre des mots sur les maux - émerge le procès d’une société qui transforme les convictions en lieux communs et encourage une banalisation suicidaire qui conduit tranquillement aux hérésies les plus absurdes.

Parmi les principaux aspects de notre grande civilisation étrillés par l’ouvrage figurent en première place les démissions parentales et scolaires - "Le rhinocéros est dans la chambre des mômes. De la chambre, il vire les parents, de l’école, il vire les maîtres" - et les ravages du "mégamixer" - entendez "l’acceptation du tout prôné et recommandé par l’essentiel du système médiatico-publicitaire".

En découlent d’affligeants corollaires comme l’inculture des jeunes générations, l’appauvrissement de leur langue, la disparition du sens critique. Les responsables ? Mai 68 ("L’histoire culturelle de mai 68 n’est plus à faire. Elle se réduit à un fait : une génération qui avait tout reçu a joyeusement privé les générations suivantes de ce qui lui avait été donné ; de toute une culture généreuse dans laquelle, précisément, elle avait trouvé les instruments de sa critique, de son refus"), la consommation comme modèle social, le raz de marée du virtuel et du numérique, la mise en place d’un système de pensée unique qui érige –mieux en ringard, pire en fasciste - celui qui s’exprime au-delà des limites communément (?) admises. Mais plus encore que les travers d’une société, c’est la démission de ses membres, leur soumission qui est en cause, entraînant cette passivité souveraine née du sacro-saint principe de tolérance et du refus d’appartenir à la fange boueuse des conservateurs.

Evidemment, certains passages particulièrement virulents pourront choquer les partisans de la mesure qui verront dans les récriminations de ce père en quête de sens une entreprise subjective soumise à l’impulsivité. La dénonciation récurrente de mai 68 risque également d’être mal perçue par les acteurs et les bénéficiaires de cette évolution dont il semble être en vogue de faire le procès…

Mais l’ambition de la collection "Colère" n’est-elle pas - rappelons-le - "de traiter sur un mode offensif et personnel, un sujet de son choix avec une liberté d’intervention, de style, de pensée n’excluant ni l’humour ni les sentiments" ? Ce "coup de gueule" paradoxalement plein d’humour est à prendre comme tel. Avec ses excès mais aussi ses enseignements sous forme d’interrogations salutaires à l’heure de la normalisation d’une société qui s’échine à "penser unique"…

Muriel du Brusle
( Mis en ligne le 29/03/2001 )
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