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Le Monde du dessous
de Didier Tronchet et Anne Sibran
Casterman 2015 /  17 €- 111.35  ffr. / 64 pages
ISBN : 9782203094406
FORMAT : 24x32 cm

Magique réalité

La Bolivie, la montagne du Potosi et ses mines d’argent. Exploitées au prix de millions de morts depuis la conquête espagnole, les mines du Potosi incarnent tout ce que l’Europe a importé de néfaste en Amérique latine. Et très symboliquement, les mineurs ont installé, au cœur de la mine, comme une divinité colérique dont il faut s’assurer les bonnes grâces, le diable en personne, un diable venu avec les Espagnols et qui prélève son tribut de sang et de larmes. Mais dans un village proche naît Agustin, fils de mineur… et donc rapidement orphelin de père, un garçon à mi chemin entre le monde magique des anciens, et le monde rationnel des mineurs, Agustin aux 4 pères, Agustin le faiseur de pluie. Et Agustin grandit, et s’engage dans un chemin initiatique aux côtés de Pako, son ultime père, un chaman oublié qui va lui apprendre à lire le monde et à y trouver la magie enfouie. Au passage, on croise des pierres qui se détendent, des condors bavards, une princesse congelée, un diable emprisonné, et tout un tas d’autres incongruités. Mais qu’est ce qui est le plus incongru au final : envoyer des hommes chercher du métal au fond de la terre pour le dilapider sur un autre continent, ou bien observer la nature en attendant qu’elle nous parle ?

Il y a du Borges et du García Márquez dans cet album très réussi, un réalisme magique directement puisé à la source et qui irrigue le merveilleux scénario d’Anne Sibran, et son final spectaculaire : on se laisse entraîner dans le monde d’Agustin, un monde où la conquête de la Lune n’est finalement pas si impressionnante, un monde où la magie affleure, cachée aux hommes aveugles et sourds, un monde partagé entre la misère des mineurs, l’opulence des industriels, et les secrets de la montagne. Anne Sibran sait habilement passer de la chronique sociale, forte et dénonciatrice, à la fantaisie et au dépaysement… Une maîtrise à la fois scénaristique et graphique, avec un Didier Tronchet toujours aussi inspiré : on retrouve l’auteur ensoleillé des Vertiges de Quito, avec ce regard désormais métissé, conquis par un continent et ses rêves. Au-delà du trait faussement naïf (jusqu’à ce diable pas très incarné, mais finalement très diabolique), Tronchet entraîne ses lecteurs dans un récit à la fois sobre et complètement onirique, fantaisiste, d’une belle maîtrise. La parfaite connivence du texte et du dessin éclaire cet album réussi, planant comme un beau roman empreint de réalisme féerique.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 28/07/2015 )
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