L'actualité du livre
Bande dessinéeet Historique  

Une histoire populaire de l’empire américain
de Howard Zinn , Mike Konopacki et Paul Buhle
Vertige Graphic 2009 /  22 €- 144.1  ffr. / 287 pages
ISBN : -84999-076-6
FORMAT : 17x24 cm

BD engagée

Adapter en bande dessinée un livre d’histoire… Le projet est original, surtout si l’ouvrage en question se revendique nettement comme un livre engagé. Encore faut-il trouver un biais qui transforme une étude construite, argumentée, en un album et qui justifie le passage au dessin sans en faire une illustration supplémentaire. Il ne s’agit pas d’une BD historique (le genre est connu, largement pratiqué, et exploite l’Histoire comme une mine de scénarii) mais plutôt d’une grande leçon mise en cases. C’est le pari fait par Mike Konopacki et Paul Buhle à partir du grand livre d’histoire américaine d’Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis (ed. Agone). Howard Zinn, est un historien américain marxiste, au ton souvent critique à l’égard de la politique de son pays. Son maître ouvrage débute en 1492 avec Christophe Colomb pour s’achever avec Georges W. Bush : une synthèse efficace, fondée sur une masse de lectures et autant de témoignages. La méthode d’Howard Zinn, c’est d’aller chercher l’histoire dans les marges, dans les récits des « petits » acteurs de l’Histoire, leur donner la parole, soulever le rideau des conventions et des reconstructions et voir, derrière le récit officiel, l’envers du décor. Il s’agit d’une entreprise de démythification efficace, pour un pays et une nation qui excellent dans l’art de se forger des mythes (depuis « la conquête de l’Ouest » jusqu’à « la guerre contre la terreur »). Historien engagé, particulièrement dans le mouvement des droits civiques, il a notamment rédigé une esquisse d’autobiographie (L’impossible neutralité) passionnante et qui, sans doute plus que son Histoire populaire, inspire le présent album, tant ce dernier fait également la part du « je ». Rencontre graphique avec un grand historien américain…

La présentation est originale : il s’agit d’une conférence contre la guerre en Irak, mise en image et scénarisée : Howard Zinn y joue son propre rôle, celui d’un historien venu évoquer – sous un angle critique – l’histoire de son pays, en montrant que la tentation impérialiste américaine est ancienne, profonde, qu’elle a sacrifié, au cours des 3 siècles d’existence, de nombreux principes éthiques et moraux, bafoué les droits de nombreuses communautés (indiens, noirs, femmes…), et justifié, par l’idéal impérial, de nombreux crimes. Loin de la geste libérale d’un pays qui se définit encore parfois comme « le meilleur espoir du monde » (W. Wilson), H. Zinn éclaire les petitesses de l’empire en construction. On démarre au milieu du XIXe siècle avec les guerres indiennes, et le massacre de Wounded knee pour arriver jusqu’à l’Irak, via une série de conflits (Cuba en 1898 puis les Philippines, la Grande Guerre, la Seconde guerre mondiale, le Vietnam et le Nicaragua). L’histoire intérieure et ses « guerres » n’est pas oubliée, depuis la grande campagne anti-socialiste de 1919 jusqu’au combat pour les droits civiques. Bref, une histoire certes connue des Etats-Unis, mais débarrassée d’une partie de ses ors héroïques. H. Zinn s’y met en scène avec un art consommé de la pédagogie, comme jeune ouvrier d’un chantier naval, comme apprenti pilote de bombardier, puis comme militant de la cause des droits civiques ou encore comme jeune professeur d’une université noire. Une existence à l’ombre de l’histoire américaine : le procédé est efficace.

Le projet était original, ambitieux : convenons qu’il est très réussi ! Le graphisme de Mike Konopacki, qui joue de divers effets (caricature de presse, photographie, photomontage, reproduction de presse…), est dans la lignée des comics américains indépendants : l’ensemble, de belle facture se laisse autant regarder que lire et en cela, l’adaptation graphique est déjà réussie. Quant à l’adaptation du texte de Zinn par Howard Buhle, elle a été sélective, mais s’avère parfaitement cohérente (avec, en clin d’œil, des encarts intitulés « infozinn » qui ramènent l’historien à l’actualité). Certes, H. Zinn reprend, dans son œuvre, la posture du tribun de la plèbe, qui critique l’Etat en lui déniant l’usage d’une raison (d’Etat) ou en l’isolant d’un contexte international qui, parfois, justifie une politique. C’est un texte engagé, qui fait réagir, et en cela, les auteurs ont parfaitement atteint leur objectif, celui d’une adaptation légitime. Un ouvrage à offrir aux amateurs d’histoire américaine et, plus largement à tous ceux qu’une vision iconoclaste de l’histoire et de l’actualité intéresse.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 22/09/2009 )
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