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Bande dessinéeet Historique  

Louis Riel, l'insurgé
de Chester Brown
Casterman - Ecritures 2004 /  15.75 €- 103.16  ffr. / 280 pages
ISBN : 2-203-39615-6
FORMAT : 17 x 24 cm

Itinéraire d’un révolté

De l’automne 1869 jusqu’à sa mort par pendaison en 1885, Louis Riel fut l’une des figures marquantes de la petite colonie de la rivière Rouge, au Canada. Composée essentiellement de métis indiens et proche de la frontière des Etats-Unis, la communauté refusait d’être intégrée à la collectivité anglophone des Etats du Canada, sans consultation ni pouvoir de revendication. Très vite, le mouvement d’opposition, mené par le jeune Louis Riel, prend de l’ampleur jusqu’à dégénérer en un véritable conflit politique, économique et « ethnique ». Cet épais album de Chester Brown relate l’aventure de ce chef charismatique et passionné, de sa nomination à la tête du mouvement (parce qu’il est l’un des seuls à parler l’anglais !) jusqu’à sa condamnation à mort, en passant par les années d’exil et de son séjour au Québec dans un asile d’aliénés.

Après les deux albums plus ou moins autobiographiques et intimistes qu’étaient Je ne t’ai jamais aimé et Le Playboy, l’auteur canadien Chester Brown change radicalement de registre en s’attaquant à une page historique (et controversée) de son pays. Le parcours politique et contestataire de Louis Riel est à la source d’une grande fresque pleine de conflits, de rebondissements, d’alliances et de trahisons. Mais c’est surtout la personnalité même de Riel, dans ses contradictions et sa démesure, qui rend cette aventure historique particulièrement intéressante. Après avoir donné l’impression d’un leader déterminé et ferme dans ses convictions, Riel est décrié, semble perdre de son assurance et de sa superbe, pour finalement être en proie à des délires hallucinatoires qui le convaincront d’être un nouvel élu chargé d’une mission divine.

Ce qu’il y a d’étonnant dans cet album, et ce qui l’éloigne définitivement d’une bête biographie mise en cases, c’est le traitement singulier de Chester Brown sur son récit. Le découpage d’abord : les 250 planches qui composent l’album sont toutes (exceptée la dernière) établies sur la même grille régulière de six cases par page. Six vignettes carrées parfaitement alignées et encadrées d’un épais trait noir. L’effet premier est saisissant et intimidant. La froideur et l’austérité de ce découpage est accentuée par la mise en scène de Brown. N’utilisant jamais le gros plan, le narrateur semble perpétuellement être en retrait, fixant les événements avec un unique objectif grand angle, l’éloignant de ce qu’il décrit, se gardant bien de s’impliquer outre mesure. Cette neutralité apparente – elle cache en fait une véritable démarche artistique – donne à l’ensemble de l’album une tonalité particulière, quasiment naïve et enfantine.

Les dialogues simples et fonctionnels, ajoutés à un trait soigné et épuré, proche de celui du Hergé des débuts (dans son avant-propos, Brown préfère citer Harold Gray et sa Little Orphan Annie), forment un ensemble cohérent et totalement inédit. L’auteur prend le risque de raconter un pan de l’Histoire avec le ton pédagogue que prendrait un auteur de bandes dessinées pour les plus jeunes. Brown relate les faits de façon linéaire, jouant des temps morts et s’interdisant les bousculements de rythme trop agressifs, privilégiant l’observation clinique à l’affect. Le pari est audacieux et peut déplaire, ou même ennuyer, mais ce serait passer à côté d’un album totalement original, et jouant de sa fausse simplicité avec brio.

Pour toutes ces raisons, Louis Riel n’est pas juste la biographie dessinée d’un révolté, mais bel et bien l’œuvre d’un auteur à part entière, radical et intransigeant.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 10/10/2004 )
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