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Bande dessinéeet Historique  

Le chevalier, la mort et le diable, tome 2 - La reine vierge
de Alain Robert et Patrick Cothias
Glénat - Vécu 2000 /  9.01 €- 59.02  ffr. / 46 pages
ISBN : 2-7234-2885-0
FORMAT : 21 X 30

1572

Adepte des continuités historiques et de la symétrie jusqu'auboutiste, Patrick Cothias continue de dévider l'écheveau infini des Sept Vies de l'Epervier. Il s'intéresse dans cette nouvelle épopée de la collection "Vécu" aux frères Yvon et Gabriel de Troïl dont il nous expose la biographie au travers des hauts et sanglants faits historiques qui marquent l'année 1572. Dans le tome 1 paru en 1999, [Bon sang ne peut mentir], les feux du projecteur narratif étaient braqués sur Yvon, l'aîné des Troïl, venu à Paris pour servir le duc de Guise selon les recommandations de son père, et qui tuait sauvagement au moyen d'un épieu effilé le meneur du "parti réformé", l'amiral de Coligny - censément chef du complot fomenté contre le roi Charles IX - pendant la grande curée de la Saint-Barthélemy.

Frappé par la dignité - humaine et non démoniaque - de l'amiral devant la mort, et comprenant toute l'horreur du massacre perpétré, le jeune homme refusait alors paradoxalement la récompense du duc de Guise. Bientôt revenu des luttes de pouvoir et des multiples complots sans issue, Yvon décidait même de passer à l'ennemi et de faire cause commune avec les huguenots et autres "parpaillots". Notamment avec son ami anglais Walter Raleigh, ayant autrefois servi sous de Coligny, qu'il rencontrait au cours d'un combat dans une ruelle et envers lequel il se sentait désormais "obligé".

A partir du 24 août 1572, la victoire des Catholiques sur les Protestants est de fait éclatante. Au service du roi huguenot Henri de Navarre que de Guise voudrait tant éliminer, Raleigh et Yvon (ce dernier devenu par la force des choses "mécréant" au sens propre) ne sont plus en odeur de sainteté en France et se rendent en Angleterre. Au début du deuxième tome, la reine Elisabeth 1ère qui entend tirer son épingle du jeu des guerres de religion demande au demi-frère de Walter, accompagné de nos héros, de combattre officieusement les Espagnols sévissant sur les mers. Ainsi les deux amis se trouvent-ils assimilés à ces terribles "gueux de la mer" révoltés contre le roi d'Espagne. Yvon, aiguisé par maints combats auxquels il participe, se transforme peu à peu en corsaire acharné. Mais la politique a ses raisons que la raison elle-même ne connaît pas toujours et, assaillis par des navires anglais (!), Walter est grièvement blessé tandis qu'Yvon séjourne quelque temps dans un cachot avant de s'évader pour rejoindre La Rochelle, assiégée par les Catholiques. Il aura appris entre temps que le jour de l'assassinat de l'amiral de Coligny sa mère est morte en donnant le jour à son frère Gabriel...

La veine historique dans laquelle puise à l'envi Cothias est toujours aussi bien exploitée et l'on a plus que jamais l'impression d'assister à chaque nouvel épisode à la mise en place d'un véritable "système". Même s'il est lassant d'entendre le vieux Léonard Langue-Agile présenter le récit de manière indirecte comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre - le procédé de la focalisation externe avec effets de flash-back à l'appui a fait long feu depuis qu'on lit les Sept Vies de l'Epervier -, on a hâte de découvrir comment Gabriel de Troïl va jouer le rôle majeur qui lui est dévolu depuis le début dans cette fresque. Chez Cothias, la vie (des héros, des peuples, des nations), personnifiée plus souvent qu'à son tour, se livre souvent en demi-teintes, nous révélant que les couleurs sont parfois injustes. Au-delà de l'absoluité du gris et en-deça du criard, elle n'a pas toujours le courage de nommer les ténèbres sur lesquelles elle s'enracine. Mais du moins atteste-t-elle en période de troubles politico-religeux la part d'ombre (le désir, l'appétit de pouvoir, l'orgueil) qui constitue l'être humain.

Le graphisme demeure en tous cas impeccable et Alain Robert, spécialiste de la reconstitution historique qui a dessiné les histoires des villes de Rouen, Lorient, Vannes et Brest, met en scène des batailles navales savamment orchestrées, où les hommes étripent à tout-va, suent et saignent comme de beaux diables. A côté de ceux-ci, force est de reconnaître que les flibustiers hergéens du Secret de la Licorne paraissent des enfants de choeur en mal de galéjades ! Fidèle à l'esprit du temps, le navire se donne en définitive ici comme un microcosme de la société du XVI° siècle et chaque homme qui y est "embarqué" - comme Pascal le dit de tout individu face au destin et à la mort- apprend tôt ou tard que "la guerre ne connaît pas de lois (...) hormis celle du plus fort", que donc "tout le reste n'est que mensonge et comédie"... Décidément, dans Le chevalier, la mort et le diable, la scène de théâtre est - à l'instar de Dieu, le seul qui manquait encore à l'appel -, partout et nulle part à la fois.

Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 28/03/2000 )
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